La fête écarlate
Thouars (268) formait un singulier contraste avec la face rubiconde de Louis de Blois (269) et la pâleur de Jean de Hainaut, son beau-père. Le duc de Lorraine, beau-frère de Louis, le front baissé, méditait ; Charles de Montmorency et le sire de Beaujeu se chuchotaient leurs appréciations (270) ; le sire d’Aubigny caressait dubitativement sa courte barbe brune et le sire de Montsault, le seul qui ne fut pas vêtu de fer, se grattait l’aine : la vermine anglaise, dit-il soudain, avait répandu autour d’icelle, avec le sang, ses poux, ses puces et ses Imaginez, Philippe, dit Hainaut familièrement, que le Nord soit désolé par les Anglais et les Flamands, que la Bretagne s’échauffe et que Derby avance en Langue d’Oc ou en Poitou…
– Que me parlez-vous de Derby !… Mon fils Jean le tient fixé à Aiguillon…
Jean d’Harcourt parut à bout de patience :
– Sire ! Ce matin même, tandis que Fenouillet était chez les Goddons, un messager est arrivé d’Aiguillon… Vous nous avez dit vous-même que le duc Jean vous faisait savoir qu’il se lassait de ce siège.
– Hé quoi ? Nous serions aussi las que lui à sa place !… Il n’a qu’à faire comme moi : défier Derby ou Gauthier de Masny avec la ville pour enjeu !
– Sire, insista Harcourt, ce n’est pas de Chevalerie qu’il s’agit, mais de votre royaume et des gens qui le peuplent !
Philippe VI jeta sur le contradicteur un regard excédé :
– Vous enflez tout, Harcourt !… Depuis que votre frère est auprès d’Édouard, vous noircissez à plaisir les choses les plus… euh… lumineuses !
– C’est bien mon avis ! approuva Blainville en lançant à Ogier un coup d’œil triomphant. Puisque le roi Édouard veut se rendre à Paris, nous devrions le précéder pour l’y conjouir (271) .
– Nous allons partir, Richard… Et sans plus tarder…
Beaujeu et Montsault furent sur le point d’exprimer une protestation : un geste du roi au passage – le tranchant de la main effleurant leur cou – les maintint dans un silence hostile. Après quoi Philippe VI tapota son épée :
– Le beau combat que ce sera !
Ogier et Harcourt échangèrent un regard désolé tandis que Blainville donnait libre cours à son exultation :
– Vous le dominerez, sire !
Ogier, écœuré, quitta le logis royal.
– Alors ? demanda le Moyne de Bâle en s’approchant.
– Alors ?… Vous avez bien fait de rester au-dehors. Le roi est fou. Il ne comprend pas qu’il sera fraudé, bestourné (272) par Édouard et son fils !
Jean IV d’Harcourt les rejoignit. La fureur lui donnait un aspect plus solennel encore que d’ordinaire, bien qu’elle rougît ses joues et son nez assez malsainement. Il avait encore dans l’oreille, sans doute, l’admonition du roi : « Depuis que votre frère est auprès d’Édouard… » C’était, plus qu’un reproche, l’expression d’un mépris chargé d’une telle ironie que son sang devait le brûler. Humilié, marri et inquiet, il s’interrogeait, descendait profondément en lui-même et n’y trouvait que doute et découragement.
– Avez-vous vu longtemps Godefroy ?
– Oui, messire. Vous lui ressemblez, sauf…
–… que je ne boite pas ?
– Ce n’est pas ce que j’allais dire. J’allais dire : sauf que vous êtes du bon côté.
– Qui peut savoir ?… Va-t-il bien ?
– Apparemment. Il s’est soucié de vous et de votre fils. Il sait que vous vous êtes bien battus à Caen.
– A-t-il du regret ?
– Plutôt du remords…
En prononçant ces mots, Ogier scrutait le visage du comte ; il y trouva ce qu’il cherchait : une satisfaction triste.
– Ah ! il y vient, mais trop tard.
Puis, froidement :
– Je ne crois pas à ce combat de rois sous les murs de Paris, et cependant j’aimerais qu’il eût lieu, car j’ai peur… Je vous le confie, Fenouillet : j’ai peur de devoir combattre contre Godefroy, même si je le réprouve et le déteste… Dans les grands hutins de Caen, Dieu a voulu que cette male chance nous soit épargnée…
Harcourt s’interrompit ; Ogier demeura coi : il comprenait cet homme. « Et c’est vers moi qu’il vient chercher l’entendement ! » Il regarda le lourd bassinet serré contre la hanche du Normand : une belle et solide défense de fer, tout comme la cuirasse. Nulle sagette ne devait pouvoir percer cela.
– Tout ça parce que nous aimons l’un et l’autre la
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