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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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toi ?
    – De Caen, monseigneur, dit un guisarmier.
    – Alors, tu dois avoir envie de te venger… Tu devrais courir loin devant nous !
    Ces admonestations contrarièrent Ogier. Son regard tomba sur un bûcheron en sarrau noir, cheminant dans l’herbe, puis sur un huron dont la faux avait été montée en guerre, et sur son voisin, torse nu, porteur d’une fourche.
    « La bataille à venir ne les concerne pas. »
    Cependant, ils y seraient engagés, plus méritants que ces princes, comtes, barons, seigneurs de grand et petit lignage qui, tel le roi, se croyaient pourvus des qualités des preux, mais régnaient souvent par l’homicide et la terreur sur l’étendue de leur domaine et même, parfois, au-delà. Pour ces bienheureux, vivre c’était accumuler l’or, les privilèges, les excès de tout genre ; c’était enraciner profondément la force en un lieu et l’imposer à l’entour. Il avait cotoyé à Chauvigny ces suffisants ; ils solennisaient le moindre de leurs gestes – sauf lorsqu’ils mangeaient et tâtonnaient les filles – et devaient s’asseoir sur la planche trouée des latrines comme s’ils s’installaient sur ce trône royal qu’ils devaient préserver ces jours-ci.
    Observant à nouveau l’homme en sarrau noir, sa cognée sur l’épaule, Ogier, soudain, s’inquiéta pour Anne. Où s’étaient-ils cachés, Thibaut le bûcheron et elle, pendant le siège de Rechignac ? Les Anglais qui infestaient les forêts les avaient-ils découverts ?… Vivait-elle ? Avait-elle mis au monde son enfant ? Oui, bien sûr. Était-ce un fils ? «  J’ai peut-être un fils ! » Reverrait-il Anne ? Il le fallait.
    Jamais elle n’aurait dû le quitter ainsi. Thibaut prenait-il soin d’elle ? Se montrait-il bienveillant envers cet innocent conçu par un damoiseau qu’il avait détesté ?
    Rechignac !… Lors des assauts donnés par les démons de Robert Knolles, il s’était senti de plain-pied avec les serviteurs et hurons de son oncle. Il s’était emmaladi ou empeuré lorsqu’il en avait vu certains mourir ou souffrir avec la même constance que des preux et, l’idiot, il avait contenu cette compassion, cette admiration non seulement par pudeur mais encore par prudence : Guillaume l’eût désapprouvé de le voir ou de le savoir trop sensible aux malheurs du commun. Il lui avait appris qu’il devait seigneurier (282) tous ces gens et citait souvent un dicton qu’il tenait de son père : «  Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain, il vous oindra. » La substance en était vraie, peut-être, mais il avait souffert lui, Argouges, de cette retenue. C’était… hé oui, comme une déclaration d’amour qu’il n’eût osé formuler. Il conservait de ces jours-là une remembrance saumâtre. Cette réserve, cette modération dans les sentiments forts, ordinaires, légitimes, voire nécessaires, le triboulait parfois. Il évaluait, maintenant, la profondeur de la plaie née de cette privation et se sentait impuissant à s’en guérir.
    « Frères d’armes. »
    Cette fraternité concernait aussi tout ce qui le liait pour un temps à ces hommes de peu ou de peine conduits sans le moindre égard au-devant des Goddons. Malade d’être esseulé dans une multitude, il avait besoin d’une dose d’amitié sincère d’où qu’elle vînt – manant, loudier (283) , hobereau. Vivre sans celle-ci serait comme accepter une mutilation. Ah ! certes, il y avait Thierry, Raymond et les autres. C’était parce qu’il était privé de leur présence qu’il avait, ce jour d’hui, mal au cœur et à l’âme.
    Avait-il deviné tout ce à quoi il pensait ? Gauric, maintenant, chevauchait à sa dextre.
    – Il fait chaud, messire… Voyez : je ne porte plus la bannière royale mais un épieu de bon frêne…
    Un manant, lui aussi, heureux qu’Alençon eût poussé son destrier en avant :
    – Messire Jean d’Harcourt et son fils disent que c’est folie de revenir à Paris. Qu’en pensez-vous ?… Vous êtes comme moi : vous suivez sans mot dire… Notre suzerain est tout fier de combattre l’Anglais seul à seul…
    « Le roi est un niais. »
    C’était une certitude, à présent que Philippe VI traînait à la queue de son blanc palefroi ces milliers d’hommes suants, puants, empoussiérés. Dans la sévérité même de ce jugement irrévérencieux, Ogier trouvait la justification de sa présence derrière ce monarque de clinquant, et la volonté de

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