La fête écarlate
jouteur comme on n’en voit guère. Il sait prendre son galop lance basse et frapper juste et fort !
Édouard III sourit tandis que son fils se renfrognait. Était-il un jouteur médiocre ?
– Eh bien, quand nous aurons gagné cette guerre, nous convierons votre champion, Harcourt, aux joutes de Westmoustier !
Considérant cette intention comme une flatterie destinée à l’étourdir, Ogier trouva que c’était pousser loin l’avantage et le prendre pour un niais. Cette guerre, les Goddons la perdraient : cent mille contre trente mille ! Ils devaient la perdre.
Accompagné du Moyne de Bâle, silencieux, il suivit le roi, son fils et le clopinant Harcourt.
L’intérieur de la tente royale était simple : un lit, une perche à vêtements, une table ronde, deux bancs et la bannière aux léopards et fleurs de lis piquée en terre. Comme la portière de lin gris, boueux, retombait, Édouard III demanda :
– Avez-vous soif ?… Voulez-vous un gobelet de cidre ou de vin ?
Portant successivement son regard sur le roi, puis sur le Moyne de Bâle et enfin sur Godefroy d’Harcourt, Ogier fit une grimace :
– Nous ne pouvons accepter aucune de ces boissons, monseigneur. Elles proviennent à coup sûr des futailles de ce hameau, là-bas, dont il ne reste rien…
Dans son dos, le prince de Galles grogna. Édouard III sourit benoîtement et sans mot dire ouvrit la custode. Il en tira le parchemin. Il n’en rompit pas le sceau mais l’arracha, le jeta au sol et l’écrasa sous sa semelle comme il l’eût fait d’une araignée ou d’un cloporte. Et bientôt, tandis qu’il lisait, ses lèvres pincées s’arrondirent ; un sifflement léger en sortit :
– Tiens, mon fils, lis donc ça !
Édouard le jeune prit connaissance du document. À l’issue de sa lecture, on eût dit un chat venant d’achever sa pâtée :
– Vous rencontrer seul à seul sur le pré !
Il s’était exclamé, il riait, et pourtant, au fond de cette gaieté, Ogier crut percevoir une crainte : celle d’une acceptation.
– Delicious ! dit simplement Édouard III tandis qu’entre ses cils un scintillement nouveau apparaissait : celui du pêcheur guettant le premier sursaut du bouchon.
Alors le prince s’emporta : il haïssait Philippe plus que son père :
– Il s’enivre de mots !… La prud’homie, la Chevalerie… Si quelqu’un devait l’affronter en champ clos, ce serait moi !
– Assieds-toi, Édouard… Sors l’écritoire que Michel a placée dans ce tiroir.
Le prince obéit. Il riait. Ogier crut se trouver en présence de deux complices préparant un bon tour. Harcourt, immobile et penché, se taisait.
– Écris-lui que j’accepte le challenge (264) .
Édouard de Woodstock sursauta.
– Vous acceptez ? dit-il, la plume d’oie au-dessus de l’encrier.
– Ne me regarde pas ainsi !… Je te dirai bientôt pourquoi j’acquiesce. Écris, mon fils, dans les formes requises : Je consens, mon cousin, quand vous voudrez, devant vos guerriers et les miens assemblés… sous les murs de Paris… où je me rends sans tarder…
« Il accepte !… Or pourquoi Paris et non Rouen ? » se dit Ogier. « Il y a là-dessous une belle cautelle (265) . Mais de quelle espèce ? »
Tandis que le prince grattait le parchemin d’une plume crissante, Harcourt émit une objection :
– Et ma Normandie ?
– Plus tard, Godefroy. Tenez, prenez cette chandelle et allez l’allumer à un feu.
Ravalé au rang de bas serviteur, le Boiteux frémit sous l’offense. Il traversa la tente en clochant fort, disparut et revint vite, protégeant de sa paume la petite flamme d’or. Édouard de Woodstock fit fondre un bâtonnet de cire rouge et cacheta la réponse ; son père y appuya le sceau de son anneau sigillaire.
– Voilà qui va réjouir notre cousin !
Ogier récupéra sa custode et l’enfouit cette fois sous ses mailles, à la hauteur du cœur.
– Tout est dit, messeigneurs ?
– Tout est dit, fit Édouard III. Et n’oubliez pas, chevalier : aux Pâques de l’an prochain, soyez à Westmoustier. Nul besoin de sauf-conduit. Dites seulement un de ces noms en touchant notre île : Harcourt, Montfort, Clisson, et avec moult égards l’on vous conduira jusqu’à nous. Et sachez que je ne vous tiens pas rigueur d’avoir omis de vous désheaumer devant moi !
– Sire, sachez qu’en aucune façon je ne me suis senti votre hôte. Sur cette terre que j’aime et que vous
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