La fête écarlate
Normandie…
Le Moyne de Bâle eut un de ces grognements qui, chez lui, révélaient une émotion.
– Dieu jugera, dit Ogier. Je ne crois nullement, moi aussi, à cet estour (273) de rois : on ne voit ça que dans les livres…
Tandis qu’il s’exprimait ainsi, une gêne absurde le prit, car il imaginait les deux Harcourt se taillant, s’estoquant dans un champ livré à la fureur des batailles.
– Dieu est souvent absent quand le sang coule, conclut le Moyne de Bâle.
Ogier et Harcourt l’approuvèrent tandis que Blainville, souriant, quittait la tente royale.
– Cet homme est abominable. Foi d’Harcourt, je peux de moins en moins supporter sa présence !
« Votre frère », songea Ogier, « s’en accommode assez bien. »
Il vit Blainville entraîner Vertaing parmi les tentes.
Deux complices. Comment eût-il pu les confondre ? Attendre. Il fallait attendre. Toujours.
II
Mardi 8 août.
D’immenses processions remontaient la rive droite de la Seine. Combien d’hommes ? Les uns prétendaient cinquante mille, les autres cent mille ; nul ne le savait et Dieu Lui-même, songeait Ogier, eût renoncé à les compter.
Il avait retrouvé son Blanchet. Pour le récompenser de l’heureuse issue de sa mission, Philippe VI lui avait fait porter une armure, une dague et ses compliments juste avant d’ordonner qu’on démontât les tentes. Il avait enfardelé son heaume et son haubert dans un sac suspendu au troussequin de selle.
Le soleil frappait fort et les milliers de pas, les uns ferrés, les autres non, soulevaient des nuées de poussière ; une poudre safran qui vous enfarinait le nez, la bouche, et picotait les yeux. Seul le roi y paraissait indifférent : il chevauchait deux cents toises devant Ogier, de sorte que celui-ci pouvait l’apercevoir dans les montées. Thouars et Blois lui tenaient compagnie.
Derrière venaient Blainville et le duc de Lorraine, les comtes d’Auxerre et de Sancerre, Jean de Hainaut et le comte de Flandre, les deux Harcourt ; puis Montmorency, Beaujeu, Aubigny et Montsault, d’autres encore. Ensuite, cinquante brigands, autant de coustiliers (274) au chapel de fer plat, vêtus de la cotte annelée ; dix cranequiniers (275) à cheval, la tête enfouie dans un camail de mailles, le torse couvert d’une cotte rustrée (276) , et vingt arbalétriers ployant sous leur lourd fourniment : le grand pavois, le carquois ou couire de peau de truie bourré de carreaux, la moufle (277) à la ceinture, l’épée fixée au ceinturon et l’arbalète au bout du bras ou sur l’épaule. Ils étaient vêtus de pourpoints rouges piqués de lamelles de mailles, coiffés de la barbute ; leurs chausses de cuir, souvent renforcées de houseaux cloutés, rejoignaient de gros souliers.
Ogier les suivait en compagnie du comte d’Alençon, renfrogné, le bassinet suspendu à la hanche ; du Moyne de Bâle, serein, et d’Étienne de Vertaing, les traits contractés, la bannière du frère de Philippe VI dans sa poigne.
Si la route en était pleine, les chemins champêtres, les sentiers et les laies des forêts débordaient d’hommes en marche. Ils inondaient cultures et pâtures au grand dam des culs-verts. Tout ce que le royaume avait pu posséder dans les armeries de ses châteaux et cités apparaissait au soleil, porté par les piétons des compagnies ordinaires et ceux du ban et de l’arrière-ban, ces manants, ces hurons arrachés à leur ville, à leur hameau et à leur terre : vieux camails aux plaques imbriquées à la façon des tuiles ; cotte treillisées, faites d’un lacis de lanières de cuir appliquées sur un vêtement de lin et renforcées de clous à chaque croisement ; broignes composées d’une chemise d’étoffe ou de peau sur laquelle étaient cousus des rangs d’anneaux enfilés sur de forts cordonnets, inclinés de manière à se recouvrir, puis cousus pour demeurer en place ; hauberts aux grosses rivures ; gambisons et sarraus renforcés de cuirasses ; et avec cela, des coiffes de toute sorte, de la barbute créée en Italie et adoptée par toute l’Europe et les Anglais, à la chapeline qui eût pu, retournée, servir à cuire la soupe, en passant par le chapel de Montauban, le bicoquet rond comme une boule, la cervelière et l’aumusse de cuir.
Ils portaient le fauchard, le vouge, la corsesque, la langue de bœuf et le couteau de brèche, la guisarme, la fourche fière (278) , la longue pique flamande : le godendac ; la hache
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