La fête écarlate
savait. À vrai dire peu de chose puisque, méfiants, Alleyne et ses compagnons s’étaient efforcés d’emprunter des chemins vides – ou presque –, ce qui avait d’ailleurs allongé la chevauchée.
– Puis-je prendre congé ? dit-il en enfournant sous son plastron de fer la custode que le clerc venait de lui remettre.
– Tu peux partir, chevalier… Dieu te garde !
La phrase était dépourvue de moquerie.
Ogier s’inclina devant le souverain, nullement devant Harcourt. Il quitta la pièce. Sitôt dehors, Gauric et le Moyne de Bâle l’entourèrent. Tous trois virent les lueurs des flambeaux et des pots à feu.
– Eh bien, dit le pennoncier, dans ce noir, nous trouverons notre voie avec peine !
Alors qu’Ogier se coiffait de son bassinet, le Boiteux le rejoignit :
– Nuit pleine, Ogier… Nos hommes vont vous aider à repasser la Seine… En trois fois car nous n’avons pas de grande bacque… Nous sommes à une lieue de Paris… Même dans les ténèbres, tu trouveras aisément ton suzerain…
– Ténèbres ou pas, quoi qu’il en soit, messire, Philippe VI demeure le vôtre.
Harcourt eut un regard et un geste excédés :
– Pars… Je n’aime pas te voir, à dire vrai… Tu es, par ma foi, mon vexateur attitré doublé d’une espèce de conscience en marche… Tu me donnes mal au cœur !
Il s’éloigna en clochant fort tandis qu’Alleyne, souriant, amenait les chevaux. Devant les écuries illuminées, les archers tiraient, se baissaient, encochaient la sagette, tiraient, se baissaient, encochaient…
– Il est temps que nous partions, dit Gauric. Il commençait à nous titiller un peu trop… Parfois c’était nous, parfois notre bannière. C’est pourquoi nous vous avions rejoints…
– D’après ce que je crois, dit le Moyne de Bâle, Édouard va demeurer céans cette nuit et ses charpentiers s’affairent à réparer le pont de Poissy, qui devait être large et bien passant (295) . Le gros de l’ost anglais doit se trouver là-bas. Édouard va lancer ses avant-gardes un peu partout pour faire accroire qu’il va vers Paris…
– Il n’en est guère loin : une lieue !
Gauric sauta en selle et appuya la bannière à l’étrier. Sa face ronde exprima l’inquiétude :
– Où est maintenant notre sire Philippe ?… Et que fait-il ?
– Où est-il ? dit Ogier tristement. Je suis sûr qu’il attend son cousin Édouard en quelque cellule de l’abbaye de Saint-Germain.
– Son avisé cousin qui ne viendra jamais !
Et pour une fois, plein d’égards pour ce royal parent dont l’astuce semblait l’essentiel privilège, le Moyne de Bâle riait.
III
L’aube froide et bruyante épanchait d’épaisses fumées dans lesquelles s’empêtrait un soleil violacé. Tout se mêlait dans cette brume : l’haleine de la terre, celle des hommes et des chevaux, les exhalaisons des feux mourants et des forges ; les vapeurs, aussi, de la Seine, apparente au-delà des ramilles des haies, derrière lesquelles se naufrageaient de loin en loin quelques arbres. On ne voyait partout que des luisances d’armes, d’armures et de haubergeons emperlés, comme l’herbe et les feuilles, d’une rosée de bon augure : une belle journée s’annonçait.
Déjà, ployant sous leur grand pavois comme des vendangeurs sous la hotte, les arbalétriers de la compagnie royale se mettaient en marche, et la piétaille suivait, égratignant le ciel de toutes ses armes d’hast. Nul ne parlait. Les regards échangeaient les pires connivences. L’allure était lourde, incertaine ; insidieuse, la lassitude s’annonçait déjà ; une lassitude de l’âme, pire que celle du corps.
– Ils sont fourbus, chuchota Gauric à l’oreille d’Ogier. Voyez, messire : certains même ont perdu leurs grolles (296) ou les portent accrochées à la ceinture. Ils sont loin d’être en état d’ostoier (297) . Le roi a commandé d’aller à Saint-Denis : ils y vont…
Philippe VI n’avait que faire, présentement, de la négligence et du découragement de ces hommes. Debout, armé déjà de ses ergots dorés, tournant le dos à toutes les baies du grand réfectoire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés que des goujats (298) avaient jonché de paille, il tenait son conseil, le verbe haut, le geste auguste, en achevant de ronger une cuisse de faisan, de paon ou de géline.
– Il aurait pu nous faire donner une écuellée de soupe, continua Gauric. Nous avons cheminé toute
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