La fête écarlate
Vienne, auquel je me suis confessé cette nuit…
– L’archevêque de Besançon ! s’indigna Blainville. Dans une pareille affaire ! Mais sire…
Philippe VI fronça les sourcils, décourageant même son favori :
– Hé oui… Il s’entremettra, il plaidera ; il sermonnera le roi d’Angleterre qui n’a pas accompli ce qu’il m’avait promis : ce combat de rois !
« Il n’avait rien promis », se dit Ogier ahuri par tant de bêtise.
– Pourquoi, sire, demanda Jean de Hainaut, ne pas célébrer céans l’Assomption Notre-Dame ? Nos hommes, nos piétons…
Philippe VI balaya ce début d’objection :
– Les rois de France, Jean, vont à Saint-Denis !… Par Dieu et par la Sainte Mère du Christ, l’auriez-vous oublié ? Saint-Denis, depuis Charles le Chauve, qui fut roi et empereur !… Si ça se trouve, Édouard voudrait être avec nous !
Le ridicule du propos, eu égard aux circonstances, les arguments même dont abondaient tous les esprits en faveur de ce que proposait Hainaut n’arrêtèrent pas les décisions du roi :
– Saint-Denis tout d’abord. Ensuite, nous nous mettrons en mouvement, et j’ai idée que nous trouverons Édouard sous nos murailles même !… Hé oui : croyant que nous faisons trêve en ce jour saint, il se sera approché encore plus… Alors, puisqu’il y tient, nous lui livrerons bataille… À moins que Hugues de Vienne obtienne gain de cause et que notre estequis (302) ait enfin lieu !
Montmorency fit un pas. Un pas qui visiblement lui coûtait :
– Allons à Saint-Denis, sire, puisque tel est votre bon plaisir… Mais ne pensez-vous pas que nous devrions dire à nos hommes, tous nos hommes, après un petit repos, de repartir pour Poissy, le seul endroit où, pour gagner la Flandre…
– Cessez donc de parler du pont de Poissy ! interrompit Blainville.
Il était le seul sans armure et portait un surcot rouge et des chausses bleues : les couleurs de l’Angleterre. Nul ne le remarquait. Il ne cessait de tourner entre ses doigts son chaperon de soie noire, sans cornettes. Se préparait-il à fuir, ainsi accoutré ? Sans doute était-il encore trop tôt…
– Ne parlons plus de Poissy, insista Philippe VI. Ne parlons plus des Flamands, même si certains nous incaguent (303) .
– Sire, intervint respectueusement Jean de Hainaut, ne tenez pas les Flamands pour quantité négligeable. Le roi de Fer… et vous-même avez souffert de leur vaillance. Souvenez-vous : alors que le sort pouvait être favorable à nos hommes, à l’Écluse, c’est vers le soir que la ruée des Flamands décida de la défaite de vos Lys…
– L’Écluse est loin, cria Blainville. Les responsables de cette infortune sont morts ou ont été châtiés. Et pour en revenir à Auteuil, je dis ce que j’en pense : je n’ai aucunement confiance en ce que nous a conté Fenouillet !
Ogier porta la main à son épée :
– Messire Blainville, ne savez-vous donc pas lire ? Le roi d’Angleterre a dicté sa lettre à très haute voix. Je l’ai ouï conclure : à Auteuil, le quinze août… Et de fait, nous étions à la mi-nuit quand il la dicta…
Pieux mensonge. Blainville frémissait, ne s’avouant pas battu :
– Il n’empêche que vous nous racontez des jengles, Fenouillet, à propos de ces milliers de Goddons… Nous n’en avons pas vu un seul !
– Pardon, dit suavement Montmorency. Tous ces brasiers qui fument dans la nuit…
– Il ne faut pas mille hommes, il n’en faut même pas cent pour ardoir un village ! Dix parfois suffisent !
– Assez ! hurla Philippe. Vous avez raison les uns et les autres. Il nous faut, maintenant, partir pour Saint-Denis… Et voyez : je ne pense même pas à me rendre au palais pour y saluer la reine et ma famille… Allons, messires, quittons ce réfectoire et mettons-nous en selle !… Mes gantelets ! Qu’on me baille mes gantelets et mon épée !
Les capitaines murmurèrent. Jean de Hainaut soupira : « À Dieu vat », comme un marin pressentant la tempête. Il avait combattu la royauté française ; il devait regretter ce temps-là. Blainville souriait. Philippe VI, pâle et nerveux, s’était déjà coiffé du bassinet que son grand nez, sous la visière incomplètement déclose, semblait pencher en avant.
– Messires, nous traverserons ma bonne ville pour donner confiance aux Parisiens. C’est après nos dévotions que nous la contournerons afin de rencontrer Édouard…
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