La fête écarlate
citadins et commerçants de toute sorte, la plupart de ces derniers se démenant souvent avec bonheur pour échapper à la corvée de guerre, cette guerre dont pourtant certains d’entre eux, dans leur cité incendiée, avaient reçu visite.
Un archer trébucha, un autre le prit par l’épaule et l’encouragea.
« Je les connais bien, ces vilains ! »
Dans les petits matins givrés où semblaient se glacer sang et courage, il les avait vus partir sur la mousse blanche et craquante pour bûcheronner et fagoter afin qu’avant même d’assurer leur tiédeur quotidienne, ils pussent bourrer les cheminées de son oncle, bien pareil à ces vassaux et vavasseurs qui, ce jour d’hui, chevauchaient en riant et chantant. Vivoter, pour les hurons, et dans les temps de guerre et de désolation : souffrir ; car c’était à ces dépourvus que l’ennemi s’en prenait tout d’abord sur son passage… À force de subir l’adversité, tous ces piétons en marche vers Saint-Denis semblaient ignorer le désespoir. Mais la rancune ? La haine ? Était-il vrai qu’en Guyenne, Bretagne, Flandre – partout où flottaient les lis et léopards –, les gens du commun, à défaut de vivre bien, vivaient mieux que ceux du royaume de France ?
– Holà, Fenouillet, cessez donc de les regarder… Quand nous aurons défait notre cousin Édouard et que nous reviendrons à Paris, mille futailles de vin seront mises en perce… Alors, votre pitié deviendra répugnance… Holà, manants et ahaniers ! Donnez-nous quelque féridondaine (309) !
Et pour les y inciter, le comte d’Alençon chanta :
– La féridon don don, la féri dondaine…
Le gosier sec ou non, les piétons restèrent muets.
– Voilà Saint-Denis, mon frère, dit Philippe VI, le gantelet tendu vers une masse d’arbres d’où émergeaient des tours, des clochers, et loin derrière, une fumée grise.
– Place ! Place ! hurla quelque part Blainville. Laissez passer le roi de France et son frère.
Ogier retint son Blanchet.
« Ils m’emmerdent ! »
Quel homme, Édouard III, auprès de ces deux compères ! Ou plutôt non : quel roi !
Il avait perdu de vue le Moyne de Bâle et Gauric. Il les regretta. Il était seul et angoissé. Qu’allait-il se passer, désormais ? Une messe grandissime. Philippe VI et Alençon sortiraient réconfortés du saint lieu dont il ne voyait que le toit. Il y avait quelque cent bannières dont celle exhaussée du roi de Bohême – de gueules à un lion d’argent ayant double queue nouée et passée en sautoir, armé et couronné d’or – ; celles de quelques autres alliés arrivés à Paris longtemps après que le roi de France s’en fût allé à Rouen. Des guerriers, encore des guerriers, parmi lesquels quelques clercs, ainsi qu’une arme, remuaient leur croix processionnelle. Les Génois s’asseyaient, s’allongeaient sur l’herbe ; certains tiraient d’un bissac de quoi manger ou boire. On partageait. On ne riait pas. On était donc à Saint-Denis. Et après ?… Une viole grinçait quelque part, et toujours de nouveaux guerriers arrivaient : chevaliers, écuyers, gens de pied. Quelque drôle allongé criait un « merdaille » car on l’avait dérangé dans sa méditation ou son sommeil. Un varlet hurla : « Place à Messire Saint-Pol ! » un autre : « Place à messire Saint-Venant ! » Juchés sur des bornes, quelques curieux observaient, la main sur leur front, en visière. Une bassine dansa au-dessus des têtes :
– Place ! Place !… Laissez passer le pain bénit !
Il avait fallu faire, dans la nuit, des milliers d’hosties. Une nuit qu’Édouard III avait employée… À quoi ?
Mettant pied à terre et menant son Blanchet au frein, Ogier quitta la cohue. Il avait, lui aussi, faim et soif, et son armure lui pesait. Cette messe qui se célébrait loin de lui, peu importait qu’il n’en eût pas sa part et qu’il se privât volontairement de communion. Dieu connaissait sa piété et, ce matin, son angoisse. Blainville, lui, devait acomminger (310) .
Il s’assit au pied d’un arbre, posa son bassinet près de lui et indifférent aux propos des hommes, tout autour, attendit.
Une clameur trouée de « Montjoie ! Montjoie ! » le tira de sa mélancolie : précédé par l’oriflamme bien visible, le roi quittait le saint lieu.
Il fallut se lever, retrouver Alençon et cette armée désassemblée avant même d’avoir combattu.
*
– Eh
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