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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aux jaserons des vougiers de la compagnie royale, et certains jaques de cuir des guisarmiers d’Alençon, que Vertaing – pour le moment invisible – commandait, perdaient, faute d’entretien, leur souplesse. Ces hommes se plaignaient de souffrir des aisselles, là où la sueur coulait. On leur tendait des pichets de vin, de cervoise, d’hydromel qu’ils lampaient comme des ivrognes. Il faisait de plus en plus chaud et l’odeur, la rumeur de tous ces guerriers, leurs cris, leurs toux, les tintements de leurs armes et les sabotements des chevaux maîtrisés avec peine devenaient insupportables.
    On sortit des murailles, car à sinuer en ville, on perdait du temps. Et la grigne des soudoyers augmenta.
    – Fenouillet ! Approchez !
    Alençon, mécontent d’avoir chevauché quelque temps seul. Alençon scintillant dans sa coquille. Sûr de soi, sûr de vaincre. Devant lui, Philippe VI. Son armure, à lui aussi, fourbie pendant la nuit, brillait comme un miroir. Une armure qui peut-être bientôt serait desroute (306) .
    – Il faudra, Philippe, que tu tiennes compte de tout ce que Fenouillet a fait pour toi…
    – Je n’oublie rien, Charles, tu le sais bien. Ah ! là là, mon frère, jamais notre chère abbaye de Saint-Denis n’aura vu tant de bataillards ! Regarde ces bannières et ces milliers de pennonceaux… Bientôt, nous déploierons l’oriflamme (307) …
    – Vois nos murailles : elles sont toutes bien garnies…
    – J’ai grand-hâte d’achever cette messe et d’assaillir Édouard !
    – Nous y sommes prêts l’un et l’autre ; Philippe !
    Les deux frères s’étaient armés plus qu’il ne le fallait : la masse du côté dextre de la selle, le marteau d’armes de l’autre ; la longue épée d’arçon à senestre et, à la ceinture, l’épée d’armes qu’ils nommaient l’épée bâtarde pour la distinguer de la grande. En se dirigeant vers leurs palefrois toujours attachés côte à côte – leurs destriers et les palefreniers suivaient à quelques toises –, ils éprouvaient un évident plaisir à faire tinter leurs éperons aux grosses molettes à rayons déliés, aux longues tiges relevées vers leurs jarrets de fer. Quand ils voulaient descendre de monture pour marcher – fort peu de temps –, il fallait que Gauric, Vertaing, l’Henri ou quelques autres serviteurs empressés défissent leurs longues poulaines fixées à chacun des solerets par un bouton tournant. Et cette pompe finissait par devenir incongrue, tant pour les maréchaux et capitaines que pour les milliers et milliers de gens de pied exténués, maussades, clopinants, abasourdis de bruits, étourdis de chaleur et d’incertitude, irrités par la flaireur de leur crasse et la méconnaissance de ce qu’on exigerait d’eux au cours de ce mardi déjà bien entamé. Où étaient-ils ? Vers quoi marchaient-ils ? Saint-Denis, certes. Et ensuite ? Faudrait-il avancer et avancer encore ? Leurs chefs les considéraient d’un œil méfiant du haut de leur cheval, et souvent les insultaient afin qu’ils eussent du cœur au ventre.
    Ogier s’émouvait du sort de ces hommes – des hurons pour la plupart. Il se disait que ces gars-là, en tout autre circonstance que ces jours d’août 1346, étaient les plus vivaces, les plus résistants des hommes d’armes, parce que leur vie se passait, pour ainsi dire, les pieds dans la glèbe, et qu’à vouloir obstinément faire valoir leur lopin, ils acquéraient force et endurance. Cette ténacité dans tous les aspects de l’effort durcissait leurs muscles et fortifiait leur âme contre l’adversité… Les seigneurs ne voyaient dans la vie qu’aises et facilités, fêtes, danses, plaisirs – bonnes choses, certes – et défendaient surtout cette belle existence au combat, plutôt que le royaume. Par gratitude pour la quarantaine de jours de guerre qu’ils lui donnaient chaque année, Philippe, le reste du temps, les laissait en paix…
    – Tout vigoureux qu’ils sont, ils n’en peuvent mais…
    – Que dites-vous, Ogier ?
    – Monseigneur, notre piétaille est hodée…
    – Qu’elle chante ! dit Alençon. Rien de meilleur pour mettre un pied devant l’autre !
    Voilà ce qu’il obtenait pour réponse !
    Oui, ces ahaniers (308) aux masures groupées à l’ombre des châteaux, ces petites gens des hameaux lui semblaient, par leur nombre et leurs qualités, d’aussi précieux serviteurs de la Couronne que les Grands en armure et les

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