La fête écarlate
dit-il. J’y serai donc promptement… Où dois-je retrouver le comte ?
– À l’abbaye Saint-Pierre. Il y a dormi près de notre sire Philippe… Ils vont assister à une grand-messe… Ignorez-vous, en plus, que ce vendredi l’on fête monseigneur Saint-Louis ?
– Aux jours que nous vivons, ce ne serait pas grand péché de l’oublier !… Savez-vous, Vertaing, vous qui semblez tout savoir, quelles sont les intentions du roi et de son frère… à moins que vous ne nous donniez celles de Blainville ?
L’écuyer eut un geste d’ignorance, et comme son cheval faisait un pas en avant, il tira violemment sur le mors. L’animal hennit et se résigna.
– Philippe a décidé d’attendre tout ce jour d’hui les hommes qu’on lui a annoncés : des Bohêgnons – encore ! –, des Génois ; des gens du comte de Savoie et de ses frères. Moult Normands viennent d’arriver, conduits par le fils aîné de Robert Bertrand de Bricquebec… Mais je perds mon temps : hâtez-vous ! Hâtez-vous…
C’était tout juste, le ton d’ailleurs l’attestait, si l’écuyer n’ajoutait pas : « larrons ! » Ogier bondit.
– Toi, dit-il, accroché des deux mains à la selle de l’orgueilleux, cesse de me parler comme à un piéton ! Sache que j’ai tout d’un destrier rétif : plus on m’abroche et moins j’avance… mais j’ai le sabot prompt, surtout avec les ânes !… Tiens-toi-le pour dit !
Vertaing en maugréant tourna bride. Thierry croisa les bras :
– Le comte, messire, aurait dû s’en débarrasser depuis Chauvigny.
– C’est vrai. Ce gars-là est une vipère… un scorpion… Le moment venu, je l’occirai avec plaisir !
*
Lorsque les deux compagnons arrivèrent à Saint-Pierre d’Abbeville, Philippe VI, la messe dite, quittait l’autel, suivi du comte d’Alençon, lequel eut un froncement de sourcils à l’adresse d’Ogier.
– Ah ! vous voilà enfin, dit-il.
Le roi souriait avec un air de béatitude infinie comme si, ayant eu accès au Ciel, il en redescendait paré d’azur, les oreilles bruissantes du chant des séraphins et des louanges de Dieu lui-même.
Il salua les officiants d’une courbette, disjoignit ses mains et en rafraîchit son visage dont le front et le nez pelaient. Ogier trouva regrettable et d’un funeste augure qu’il se fût vêtu de velours noir. La plupart des nobles réunis là, tous adoubés, prêts à combattre, devaient éprouver sa déconvenue. Philippe VI sourit au chevalier superbe marchant à sa droite, et qui parfois, d’un geste apprêté, passait sa paume sur ses cheveux blonds, longs et touffus :
– Voyez, Bricquebec, combien de preux nous sommes !
« Il est venu lui aussi à Gratot », songea Ogier. « Le voilà bien fier… Tel père tel fils ! »
S’adressant à tous, le roi déclarait :
– Messires, nous allons recevoir ce jour d’hui de quoi renforcer notre puissance !
Il avançait lentement sous les voûtes du cloître attenant à la chapelle ; ses hommes liges jouaient des coudes autour de sa personne car il se gardait d’élever la voix.
– Nous aurons ce soir la plus grande force armée que le royaume de France ait jamais vue !… Hé oui !… De quoi envahir à coup sûr l’Angleterre.
« Avec quelles nefs ? » se demanda Ogier que ce préambule exaspérait. « Nous les avons toutes perdues à l’Écluse ! »
– Mais nous nous contenterons, continuait Philippe VI, de renvoyer les Anglais chez eux… du moins ceux qui courront vélocement… Les autres iront en enfer et quelques-uns – s’ils le méritent ! – en Paradis… à moins que ce ne soit dans nos geôles !
Il y eut maints rires auxquels le souverain fut sensible. Il continua, forçant le ton :
– J’ai mandé près de moi mon fils Jean. Il vient de quitter Aiguillon où il s’est couvert de gloire (Ogier ne put fournir un sens aux murmures qu’il entendait), mais je suis sûr que lorsqu’il atteindra Paris, il devra renoncer à nous rejoindre, car nous nous serons passés de lui et de ses chevaliers… Au vrai, nous sommes trop… Notre piétaille nous retarde…
– En vérité, s’écria Montmorency, notre chevalerie…
Courroucé par cette interruption, Philippe VI haussa la voix et le menton :
– Notre chevalerie et celle de nos alliés pourraient à elles seules venir à bout des Anglais… Ah ! pardonnez-moi, messeigneurs, de m’exprimer comme un huron, mais quand ils nous
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