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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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une cité appelée Le Crotoy où il y a des nefs au mouillage… pleines de pourvéances (366) .
    – Ces nefs, dit Thierry, ils les enverront par le fond dès qu’ils les auront pillées… Qu’en pense votre roi ?
    – Je l’ignore… Il soupe avec le vôtre, son frère et Blainville.
    Il y eut un silence tellement net, inattendu, qu’Ogier frissonna. Et pourtant, il avait chaud. Quelque mal sournois ? Non : la fatigue… Nuit sévère, écrasante, où tout – le vent, les hommes, les feux, le sol, les arbres, les hennissements – ajoutait comme une malédiction à ses écœurements et ses craintes.
    « J’ai survécu ce jour d’hui. Est-ce le dernier de ma vie ? »
    Il toucha sur son doigt l’anneau de Blandine, et c’était la première fois qu’il avait envie d’y porter sa bouche. Un si petit affiquet serait impuissant à le protéger.
    « Elle doit dormir en ce moment… Si elle savait ce que j’ai fait et ce qui m’attend, sa frayeur serait terrible ! »
    Il la vit se mouvoir dans le balancement de sa robe simple et seyante. Ses jambes, dessous… Connaître ses jambes… Les voir… La voir toute… Peut-être ne la connaîtrait-il jamais tout entière et abandonnée à ses désirs… Et parce qu’il avait peur de la perdre en trépassant dans la prochaine mêlée, il demanda :
    – Vers quels lieux, demain, ces malandrins guerpiront-ils ?
    Le Moyne de Bâle eut un geste d’incertitude pendant lequel ses bras de fer eurent une brillance argentée puis, se levant :
    – Nul ne peut le deviner. Ce qu’un huron nous a appris, c’est que la forêt où ces démons vont passer la nuit s’appelle la forêt de Crécy…
    Ogier prit le Moyne de Bâle par l’épaule :
    – On ne peut se battre en forêt !… Ils continueront d’avancer vers les Flandres.
    – Qui sait ? dit l’homme lige du roi de Bohême. Il y a dans ces bois une immense clairière, sise en partie sur une colline entre la cité de Crécy et un hameau qu’on nomme Wadicourt. Si les Anglais veulent se battre, j’ai idée qu’ils nous attendent ou nous attendront là. Ils ont cette nuit et la prochaine matinée pour se préparer à nous bien recevoir… Philippe est prévenu.
    – Qu’a-t-il dit ?
    – Simplement qu’Édouard se sentait en ces lieux davantage – mais indûment – chez lui plus que partout ailleurs en France, puisque le Ponthieu, naguère, appartenait à sa mère, Isabelle.
    Ogier se surprit à grogner de la même façon que le Moyne de Bâle.
    – Voilà, dit-il, une bonne raison pour que le roi des Anglais nous attende là-bas… Comment avez-vous dit, déjà, compagnon ?… Crécy ?
    – C’est cela, Ogier : Crécy.

VI
    Toute la nuit, en des mêlées persévérantes et confuses, Ogier, à larges coups de taille, se revancha des turpitudes de Blainville et de l’audace des vainqueurs de la Blanche-Tache. Peu avant l’aube, recru de fatigue et de fièvre, il sombra dans un sommeil angoissé, ourdi de chevauchées fumeuses et d’enlacements passionnés au terme desquels il se vit en compagnie de Thierry, sur le pont-levis de Gratot, hurlant au vent de mer un nom de jouvencelle.
    Ouvrant les yeux, il fut incapable de rassembler les fragments de ses fantômeries nocturnes. Sa gorge le brûlait ; son cœur demeurait affolé ; il ruisselait de sueur et tremblait sous l’empire d’un froid glacial. Quels visages et quels corps avait-il suscités ? Quel nom, surtout, venait d’emplir sa bouche ?
    « Je n’ai pu que rêver de Blandine. C’était elle que j’appelais ! »
    Pensait-elle à lui autant qu’il pensait à elle ? Plus que jamais, sa bien-aimée lui manquait. Il eût aimé, ce matin, frôler son oreille des lèvres et murmurer contre sa joue maintes choses soyeuses, légères comme cette intime odeur de fleur dont le souvenir s’était évaporé. Il eût osé porter la main sur son épaule et glisser de cette tendre pente jusqu’au val où battait son cœur. Plus il s’enfonçait dans le mystère et l’incertitude d’une guerre réduite à une poursuite humiliante et peut-être vaine si les Anglais ne s’immobilisaient, plus cette appétition, privée de la créature tangible qui la suscitait, lui apparaissait comme un remède nécessaire à son anxiété ; un remède dont l’âpreté ne le décourageait pas. Blandine régnait sur ses désirs et sur ses perplexités. Elle lui avait juré sa foi. Pour qu’il la vît et la touchât, il devait survivre

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