La fête écarlate
verront, ces linfars chieront dans leurs braies !
Ogier douta de ce qu’il avait entendu. Comment cet homme pouvait-il s’exprimer avec autant de certitude alors qu’il ne cessait d’accumuler de sanglantes déconvenues ? Seul Édouard III eût pu tenir pareil langage. Mais il s’en fût abstenu.
La voix de Philippe VI demeurait celle d’un oracle. Victoire, vaillance, vaincre, valeureux, vengeance, il prononçait ces mots en V avec un plaisir grandissime, accompagnant chacun d’un geste aussi sec que sa carcasse.
Ogier glissa un regard sur Blainville. Le félon jouissait sans pour autant se dépêtrer d’une inquiétude pesante. Était-ce lui qui, patiemment, avait insufflé au roi cette vanité sans frein ? Depuis plus de six ans qu’il vivait en sa Cour, il devait savoir flatter ses goûts, satisfaire ses passions, amoindrir – s’il se pouvait qu’il en eût – ses qualités… Était-ce lui, Blainville, qui l’avait incité à busner (367) alors que tant de réalités amères s’imposaient jusqu’aux marches du trône ?… Sans doute. Selon toute vraisemblance, il avait également grossi et renforcé la conviction que ce niais avait de sa sublimité ; et c’était pourquoi, malgré les humiliations et les revers, Philippe VI se croyait toujours superbe et omnipotent.
– Nous les tenons !
C’était ce qu’il avait déclaré avant la déconfiture de Blanche-Tache.
– Je ne voudrais pas ; mes compères, me trouver à la place de mon cousin Édouard !
« Pas un mot sur la disposition des hommes, piétons et chevaliers », releva Ogier. « Pas un souhait, une injonction. Le roi et ses maréchaux ne sont occupés que d’eux-mêmes… Si père voyait cela !… Allons, je me soucie peut-être à tort… Ils ont jusqu’à demain pour mettre tout en place… »
Voyant Alençon, hilare, approuver son aîné, le garçon ne sut plus que penser de ce grand seigneur, même quand il fut près de lui, à l’écart des autres, et qu’il lui dit en se frottant les mains :
– Fenouillet, demain nous partons pour Crécy !
– N’avez-vous pas vu et senti, monseigneur, combien Blainville est heureux des mésaventures de notre suzerain ?… Quand je le vois sourire, un fort courroux me prend !
Alençon pinça les lèvres, qu’il avait plus fermes que celles de son frère :
– Fenouillet !… Fenouillet !… Je me souviens de Chauvigny. Cependant, si Blainville était complètement ce que vous pensez, il serait maintenant à Crécy !… À condition que les Anglais y soient encore !… Mais si !… Mais si !… Il sert Philippe tant bien que mal, et je me dis, pour me conforter, que nul d’entre nous n’est infaillible… Qu’il me déteste mortellement est une autre affaire… Une affaire d’hommes et non une affaire d’État !
Démonté par cette réponse à la fois pertinente et déraisonnable, Ogier ne put y répliquer. D’ailleurs, le comte poursuivait :
– Blainville est avide… un peu mécréant, je vous l’accorde volontiers. Il aime les richesses. Il paraît prêt à tout pour obtenir plaisirs, jouissances et veiller, en retour, sur la royauté… Si le Roi de Fer eut une aussi belle lignée, c’est qu’il avait un serviteur aussi fidèle que Blainville.
– Nogaret ?
– Hé oui… C’est lui autant que le roi qui fit une France forte !
Ogier n’en pouvait plus : le comte louait un monstre et parlait de lignée alors que les Valois n’étaient qu’une pièce rapportée, un pis-aller à la royauté capétienne, la vraie, détruite avec tous les fils de Philippe le Bel : Louis Hutin, mort à vingt-sept ans ; Philippe V le Long, mort à vingt-huit, et Charles IV à trente-quatre, après, disait-on, que sur son bûcher, Jacques de Molay, dernier Grand Maître du Temple, les eut assignés au Tribunal de Dieu.
– Messire comte, je reste persuadé que Richard de Blainville est mauvais en tout. Je m’efforcerai de rester près de vous lors du grand boutis qui nous opposera aux Goddons. Si, par malheur, j’étais dans la presse éloigné de votre personne et que Blainville ou Vertaing… ou les deux ensemble vous approchent, défiez-vous-en !
Alençon accueillit cette exhortation avec un intérêt non feint, bien qu’un sourire eût éclairé sa bouche, ce dont Ogier fut plus consterné qu’humilié. À présent, les yeux baissés, le comte méditait. Pour dire :
– Seriez-vous jaloux, Fenouillet ? Après Blainville,
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