La fête écarlate
à cette bataille dont il flairait l’imminence comme il avait survécu à la géhenne d’Angle-sur-l’Anglin. Dieu ne pouvait encore joncher son chemin d’épreuves et d’interdictions iniques.
Il devinait la voix apeurée de la pucelle : « Où êtes-vous ? » Il sentait sur ses doigts la tiédeur de sa chair. Il effleurait ses cheveux et suivait dans son dos leur ondoiement doré. Il touchait à l’anneau qu’elle lui avait offert. Il avait scellé leur entente aussi fortement qu’un autre, plus simple, scellerait leur union. Son cœur battait pour deux. La réciprocité de leurs sentiments lui apparaissait avec d’autant plus d’évidence qu’il savait qu’un homme, Herbert Berland, s’opposerait à leur assemblement. La séparation qui les tourmentait permettait au seigneur des Halles de Poitiers d’aiguiser les armes capables de meurtrir leurs espérances.
Les armes !… Comme il pensait aux siennes, et particulièrement à cette épée sans nom qu’Alençon lui avait donnée, une trompe mugit quelque part. Il y eut aussitôt des bruissements de fer, des hennissements, des clapotements de pieds dans des flaques. Il avait donc plu ?
« Debout, Ogier… toujours de Fenouillet ! »
Se prenant en dérision et remuant un peu, il fit bruire sa litière et tinter les fers des armures entassées sous la mangeoire de cette étable poussiéreuse où tard la veille, à l’incitation d’Alençon, Thierry et lui s’étaient installés. Ils devaient rejoindre le comte au petit matin, dans Abbeville où cinquante mille hommes – la moitié de l’armée – avaient été rassemblés.
« Où a-t-il dormi ? Il l’ignorait en nous quittant hier… Cinquante mille hommes ! Les autres, comme nous, au-dehors… Comment les maréchaux vont-ils les mettre en bon arroi et ordonnance ? Nous sommes un troupeau énorme et mécontent. Malgré les bannières, on ne distingue plus les compagnies… Ce matin, verrai-je enfin des capitaines donner des mandements de bon aloi ? Verrai-je des sergents assembler leurs hommes et veiller à ce qu’ils ne se quittent plus ? Comment ont-ils passé la nuit ? Ont-ils seulement pu manger, hier soir ? Je n’ai pas vu encore une cuisine roulante ! »
Une longue épée de lumière étincela entre les vantaux de la porte mal close. Ogier y vit un signe de bataille ; et comme, de la pointe à la garde, l’acier fluide rougissait aux feux du soleil, il fut certain que le sang coulerait à flots. « Mais quand ? Ce vendredi ou demain ? » Il secoua son écuyer recroquevillé dans la paille, la tête appuyée contre sa selle, et ronflant fort :
– Viens te laver au puits, Thierry, avant qu’il n’y ait foule !
Champartel s’étira et s’étonna :
– J’ai cru ouïr un cri, puis j’ai dû me rendormir…
– Le cri, c’était le mien. Nous étions sur le pont-levis de Gratot et nous appelions une femme. Je crois que c’était Blandine. Le mésaise engendré par ce songe ne me quitte plus.
Thierry se mit debout et s’étira encore. Ogier en fit autant.
– Et si c’était Aude ? dit l’écuyer. Si vous appeliez votre sœur ?… Je crains parfois qu’elle ne se trouve en danger… et votre père et les autres avec elle. Puis, je me dis que les Anglais sont passés loin de votre demeure et que Blainville étant avec nous, ce malandrin ne peut exercer là-bas ses malfaisances… D’ailleurs, tant que j’y suis resté, le château est demeuré paisible…
Ogier ne sut que répondre. Harcourt lui avait donné l’assurance qu’il protégerait Gratot, sans prévoir qu’il devrait contre son gré abandonner la Normandie. Sa fureur et sa déconvenue devaient être immenses d’avoir traversé son duché en conquérant et d’en être sorti plus exécré que le roi des Goddons ! Ses rêves, à lui aussi, devaient le tourmenter.
– Allons, viens, compagnon !… Lavons-nous en hâte…
Ils quittaient l’étable, satisfaits que le Blanchet ne souffrît plus de son coup d’estoc, quand Étienne de Vertaing, en armure et tête nue, s’en approchait à cheval. Ogier se sentit enveloppé d’un regard dédaigneux :
– Fenouillet !… Monseigneur Alençon vous mande avec instance… Ma parole, le temps aidant, vous lui êtes devenu aussi nécessaire que ses braies !
L’offense était odieuse ; Ogier remit à plus tard le moment d’en demander raison à ce coquin.
– Les murs d’Abbeville sont proches d’où nous sommes,
Weitere Kostenlose Bücher