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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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et Jean d’Harcourt, qui s’arrêta :
    – Ah ! Fenouillet… Ce sera moi, demain, qui le tiendrai au bout de mon épée…
    – Mon ami, dit Jean de Hainaut, nous serons plus de cent vingt-cinq mille emmêlés. Si là-dedans vous pouvez voir votre frère, alors c’est que Jean de Bohême aura recouvré la vue.
    Ils entrèrent tous dans une grand-salle dont Ogier ne vit rien. Le vieux Miles de Noyers en sortit, soucieux.
    – Il y a de quoi festoyer, dit-il. Le roi dit qu’il attend le comte de Savoie (370) et ses frères avant d’entamer le pourceau farci à la sauce giroflée… Ces très chers alliés méritent de la patience : ils viennent avec cent lances !
    La porte laissa passer un serviteur courant, une grande louche à la main, vers on ne savait quelles cuisines. Ogier entendit : «  Victoire ! Victoire !… Buvons à la victoire ! » L’homme qui bramait si fort, c’était le comte d’Alençon.
     
    *
    Un petit matin pâle et brumeux. Une puanteur faite d’odeurs mêlées : celles des marais, de la mer, de la Somme ; celle de plusieurs milliers d’hommes au sortir du sommeil, alourdie, épaissie par l’infection de leurs excréments et les fumées des pissats et crottins.
    – Pouah ! s’exclama Thierry en entrant dans la ville. Ça empunaise la charogne !
    – Tu ne peux pas mieux dire.
    Livide et volets clos, Abbeville émergeait des ténèbres.
    – Tous ces manants, messire, se sont bien emmurés !
    – Je les comprends, Thierry.
    Depuis que la cité accueillait Philippe VI et ses guerriers, la plupart des Abbevillois, craignant autant la violence française que celle qu’ils avaient vaillamment repoussée, demeuraient dans leurs logis. Pour eux, nobles ou piétons, les guerriers de France et d’Angleterre se valaient. Ils n’étaient bons qu’aux exactions, rapines, viols et occisions, et sans doute les grands bourgeois sommés de recevoir à leur table et dans leurs chambres quelques-uns des barons du royaume tremblaient-ils autant que les manants, tout en affectant le respect et la confiance en présence de leurs hôtes. Plus encore que la victoire sur les Anglais, ils souhaitaient, ils priaient pour que leur bonne ville fut purgée jusqu’au dernier bataillard.
    Dans le demi-jour de ce samedi 26 août, luisant comme une grenaille, les bruits de pas, de sabots, les cliquetis d’acier et les commandements longs ou brefs se répercutaient de façade à façade, sans fièvre, sans outrance, bien que la foule armée ne cessât de grossir. Sur les places et les placettes, à l’ombre grise des rues se formaient des cortèges de fer ; les ruelles s’emplissaient, les venelles s’engorgeaient, et les rumeurs s’enflaient en conséquence. Elles venaient battre le pourtour du prieuré Saint-Pierre dont les vitraux s’animaient eux aussi, non des feux du soleil mais de ceux qui, à l’intérieur, dévoraient les mèches des cierges. Le roi, son frère et les grands vassaux rendaient grâces à Dieu avec la même ardeur que s’ils s’étaient trouvés tous assemblés sous les voûtes de Notre-Dame.
    – Nous avons manqué la messe, dit Thierry.
    – Si nous sommes au Ciel ce soir, nous aurons l’éternité pour faire pénitence… Si nous restons sur terre, eh bien, faisons vœu de passer un matin tout entier à genoux dans la cathédrale de Coutances… Tiens, les voilà !
    Philippe VI et le comte d’Alençon apparurent, resplendissants d’espérance et de fer, adoubés si bellement qu’ils semblaient sortir d’une immense enluminure. Une cotte d’armes sans manches couvrait leur cuirasse et leurs tassettes ; elle était de soie bleue semée de fleurs de lis d’argent, fendue sur les côtés pour le passage des armes. Afin de se différencier de son frère, le roi portait en sautoir un collier d’orfroi d’où pendait une croix dont la simplicité ne pouvait faire oublier la magnificence de la chaîne à laquelle on l’avait accrochée. Ainsi paré, serré et comme allongé par son armure, Philippe VI semblait tel qu’il apparaîtrait en effigie sépulcrale, et ses mains nues, un instant jointes, ajoutaient à l’illusion.
    Était-ce un effet de l’ombre du grand portail ? Ogier trouva au visage royal le grain et la lividité du linteau de pierre au-dessus duquel s’affrontaient des démons et des anges. Tout proche, un jeune chevalier poignait l’oriflamme, bénie, et derrière, surélevés par une marche, des écuyers dont Vertaing, aux

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