La fête écarlate
Compagnie blanche et tous les archers de la première ligne, de Crécy à Wadicourt, bander leur arme au même instant.
Plus de dix mille sagettes ajustées vrombirent dans le ciel comme des essaims de frelons, et leurs pointes acérées n’avaient pas encore atteint leur but qu’une nouvelle nuée rayait l’azur assombri.
– Arrêtez ! ordonna Alençon dont le cheval se cabra.
Les chevaliers que le comte avait entraînés obéirent. Devant eux, par centaines, les arbalétriers et les piétons s’effondraient en hurlant. Certains, percés de plusieurs traits, se figeaient sur le sol ; d’autres y remuaient comme des épileptiques avant le dernier sursaut ; d’autres rampaient en réclamant de l’aide – comme à la Blanche-Tache.
Et la mortelle pluie continua. Arrachés à leur étonnement, les Génois et les soudoyers de France, effarés, effrayés, chancelants, reculèrent. Comme ses compagnons muets et suffoqués, Ogier les vit abandonner leurs armes et leurs blessés pour courir vers les chevaleries dont les maréchaux hésitaient à lancer la charge. Les vougiers, picquenaires et guisarmiers des derniers rangs, que les sagettes avaient épargnés en raison de leur éloignement, pris dans ce reflux irrésistible, coururent, eux aussi, pour chercher un abri derrière les armures.
– Ils guerpissent tous ! s’exclama Alençon.
– Ils ne savent où se mettre, dit Blainville d’une voix plate, maîtrisant mal, semblait-il, son gros Melkart.
– Que faites-vous à mes côtés, Richard ? s’étonna le frère du roi. Votre place est auprès de Philippe !
– Je vais y aller !… Je vais y aller, n’ayez crainte !
Blainville souriait à la droite du comte. Vertaing apparut à sa gauche. Ogier sentit une menace : on eût dit que ces deux-là préparaient un coup mortel.
Thierry se porta entre Blainville et Alençon ; Ogier repoussa Vertaing. Les deux compères s’écartèrent. Devant, dans le grand champ, la mort pleuvait à verse. Et comme les premières grappes de piétons hagards, essoufflés, désarmés et blessés parvenaient à quelques toises des trois ou quatre mille guerriers à cheval, bassinet clos, épée nue ou lance oblique, prêts au grand galop, Ogier entendit le roi furieux commander :
– Or, tuez toute cette ribaudaille, car ils nous empêchent la voie sans raison !
– Qu’on tue tout ! hurla Alençon. Ils nous ont porté plus d’empêchement que d’avancement !
Ahuri, écœuré, Ogier vit alors ses compagnons, sauf Thierry, galoper vers les piétons, les occire à coups d’épée, les embrocher, les étriper de leur lance : la Chevalerie de Philippe VI entamait sa ruée sur les Anglais en massacrant à grand plaisir ses hommes d’armes et ses mercenaires.
– Après tout, dit Alençon, cela fera moins de soldes à payer !
Furent-ils courroucés par ce spectacle où les deux Valois s’en donnaient à cœur joie ? Édouard III et ses maréchaux firent allonger le tir. Les flèches godonnes, en pluie serrée, tombèrent sur ces justiciers d’une espèce inconnue, crevant leurs défenses de fer et les jetant à bas de leurs chevaux hennissant de douleur et de peur, de sorte qu’un grand hurlement de fureurs et de souffrances mêlées monta bientôt des trois cavaleries virevoltantes, tellement occupées à occire du piéton épouvanté qu’elles s’offraient aux tirs des adversaires sans que la plupart de ceux qui les composaient eussent conscience du péril auquel leur inepte courroux les exposait.
Ogier se trouva repoussé vers le roi de France, l’épée dégouttante et vermeille :
– Sire !… Oh ! sire, cessez d’exterminer ces mal heureux ! Songez aux Anglais !… Voyez le mal que nous font leurs sagettes !… Ils doivent bien s’ébaudir de voir cette discorde !
– Quoi, blanc-bec ! vociféra Alençon. Prétends-tu commander à mon frère ?… Non ! Non ! Qu’on tue la piétaille ! Tuez !… Ils nous ensoignent (399) et tiennent le chemin sans raison !
Il était fou de male rage, lui aussi. En tuant ces piétons détestés, il se faisait la main pour courir à l’ennemi. C’était ignoble ; c’était pire que tout ce qu’on pouvait imaginer en fait de férocité.
« Dieu les voit et les juge… Attendons Sa sentence ! »
Ogier vit un nouveau nuage de flèches tomber sur la chevalerie de France avec ce feulement si singulier qu’il frissonna de l’entendre. Il vit le roi prendre un trait dans sa
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