La fête écarlate
ils approchaient des bouquets d’arbres, des chevaliers les quittèrent et trottèrent vers les Anglais, menaçant et insultant les piétons pour qu’ils leur fissent de la place.
– Que font-ils ? s’étonna Philippe VI. Ils sont presque un millier !
– Ils ont hâte de galoper, mon frère.
Soudain, les impatients s’arrêtèrent, la lance sur l’épaule ou l’épée basse. Constatant enfin qu’ils enfreignaient la volonté du roi dont la rancune, en cette conjoncture, pourrait être cruelle et sans rémission, certains d’entre eux tournèrent bride pour revenir à leur lieu de départ. Ils virent avec surprise – tout comme Ogier, Thierry, le roi et son entourage – quelque trois cents armures quitter le couvert des arbres et chevaucher en hâte dans leur direction.
– Mais que font-ils ?… Quel démon les pique ? se lamenta Philippe VI. Pourquoi n’obéissent-ils plus ?
Suivant le roi et ses grands vassaux perplexes, Ogier, au trot du Blanchet, traversa les boqueteaux jusqu’en lisière du Val-aux-Clercs. À quatre cents toises au-delà, les chevaliers constituaient un attroupement informe, remuant sur place, et deux cents toises devant eux, les piétons composaient un épais et long cordon joignant, face à l’ennemi, la petite route de Crécy à un chemin menant à Wadicourt, distants d’une demi-lieue l’une de l’autre.
– Ces marauds bouchent tout ! enragea Alençon.
– Ils sont, dit Louis de Blois, parvenus à portée des sagettes.
– Nenni ! protesta Louis de Thouars. Ils peuvent encore avancer pendant deux cents toises. Et puis quoi !… Ne sont-ils pas à la guerre ?
Certains Génois enfonçaient dans le sol leur grand pavois et s’abritaient derrière ; d’autres, aidés par des compagnons, l’assujettissaient sur leur dos (395) . Ceux qui l’avaient abandonné ou confié au charroi, mêlés aux soudoyers de France, considéraient, l’arbalète à l’épaule, ces hauteurs où les Goddons, derrière leurs défenses rustiques, ne bougeaient ni ne criaient. Quant aux chevaliers de Philippe VI… Les hardis seigneurs de l’avant-garde, voyant un escadron aussi gros que le leur les rejoindre, repartaient droit devant eux afin d’avoir l’honneur de combattre les premiers. Quelques cris éclatèrent : on se provoquait, on s’insultait, on se menaçait du poing ; on allait prouver sa vaillance.
– Regarde, Thierry, dit Ogier à voix basse. Si la baronnie se met tout entière en branle, ce sera le grand désarroi. Il devait y avoir trois batailles ; je ne vois qu’une foule dont ceux que voici vont encore augmenter la confusion.
Un nouvel escadron sortait des bosquets et s’avançait vers Wadicourt.
– Attrempez (396) les lances et tirez les épées ! cria parmi ces hommes Connars de Lonchiens.
– À l’arme ! À l’arme ! Montjoie ! s’écrièrent certains.
– Les fous ! dit Thierry. S’ils galopent ainsi, tous se feront occire.
– Arrêtez ! hurla Blainville. Demeurez près de l’oriflamme !
À quoi pensait-il, lui ? Qu’allait-il faire ? se replier et disparaître comme à l’Écluse ? Ogier le vit essayer de saisir l’étendard sacré dans le poing de son porteur. Saint-Venant poussa aussitôt son cheval jusqu’à lui, et sans égards s’y opposa :
– Allons, messire Richard !… Elle n’est point vôtre !
À nouveau, et en même temps qu’Alençon auquel rien n’avait échappé, Ogier regarda le Val-aux-Clercs. Sa consternation s’aggrava : les trois batailles prévues la veille dans la liesse du grand souper d’Abbeville, semblaient réduites à deux, encore qu’elles fussent presque indistinctes tant le désordre ne cessait d’y croître.
– Arrêtez tous ! hurla Philippe VI dans ses gantelets réunis en cornet. Vous êtes sans conroi (397) et sans ordonnance !
Et tourné vers son frère, d’une voix sifflante :
– Charles, je n’en suis plus maître !… Il faudra qu’ils me paient cela !
– À combien sont-ils des Anglais ? demanda le roi de Bohême, les bras croisés sur son tabard somptueux.
– Un quart de lieue, sire, dit le Moyne de Bâle.
Il lança vers Ogier un regard d’impuissance et d’indignation tandis que Blainville s’exclamait :
– Voyez !… Ils apparaissent !
Obéissant à une sonnerie de trompe, cinq à six mille piétons anglais qui, jusque-là, s’étaient tenus à l’abri des troncs, des branches, des fagots et des ridelles de
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