La fête écarlate
ventaille et l’arracher. Du sang sinua sur son colletin.
– Aux Goddons ! hurla Saint-Venant.
– Aux Goddons ! fit Alençon.
Ogier vit le Moyne de Bâle en avant de la bataille du roi de Bohême et Charles IV en arrière. Il vit le comte de Blois, qui avait joyeusement embroché du Français et du Génois, pointer sa lance souillée par des débris d’intestins ; il vit le duc de Lorraine achever un arbalétrier d’un coup de hache et brandir le croissant d’acier rouge en criant : « Aux Goddons ! À la mort ! À la mort ! » Il vit le comte de Namur abattre son fléau d’armes sur un vougier de sa propre maison et galoper vers les hauteurs de la colline ; il vit deux des trois archevêques, mitrés de fer, frapper des têtes à coups de crosse (400) ; il vit Thierry de Senseilles, sur son beau cheval, lever bien haut la bannière de Jean de Hainaut et s’élancer ; il vit la vieille oriflamme de Saint-Denis osciller derrière Philippe VI entouré de Montmorency, Thouars, Sancerre, criant à qui mieux mieux : « Pour Dieu et le royaume ! » tandis qu’Alençon lui enjoignait, sans encore avoir pris le galop :
– Demeurez près de moi, vous et votre écuyer !… J’espère, Fenouillet, que vous n’avez pas peur !
Bien qu’il accompagnât cette saillie d’un rire, le grand destructeur de piétons hésitait à s’élancer, immobilisant son sanglant escadron. Que lui répondre ? Rien. Abaisser sa visière. Faire de son mieux. Vivre !… L’étrange sensation que de percevoir tout à coup combien la vie était peu de chose… Étrange de constater qu’il n’était pas seul, lui, Ogier, à exercer sur cette existence plus immatérielle encore que le vent, un droit souverain mais précaire. Service du roi et du royaume…
« Et je sers un roi fou de présomption ! »
Il se sentait inexplicablement faible, à la merci d’un des milliers de ces frelons d’acier ou d’un imparable éclair de lame. La sérénité qu’il avait opposée à la moquerie d’Alençon n’était que feinte orgueilleuse, car des tremblements l’agitaient et ses viscères le brûlaient. Il lui semblait que les nerfs de ses avant-bras pétillaient comme l’eau des cascades, et qu’il était lourd, lent, friable : mortel ! « Tu peux mourir ! Tu peux mourir par la faute de ces goguelus ! » Cette affirmation le déchirait plus cruellement qu’une estocade. Ainsi, la sottise d’un souverain sans mérite avait suffi à faire de lui ce condamné à mort ! Réduit aux abois – ou presque –, il ne pouvait invoquer Dieu. Parce que Dieu était pour le roi et le royaume et qu’il n’était, lui, Ogier, qu’un petit… Mais un petit qui devait vivre pour confondre et exécuter Blainville.
« Et si le roi trouve la mort ?… Si Blainville, malencontreusement, reçoit une sagette ?… Où est-il donc passé ? Il va devoir se battre contre ses alliés ! »
Ogier dégaina son épée en regrettant qu’elle ne fût pas Confiance, qu’il poignait mieux. Thierry lui tendit un bouclier :
– Prenez-le.
– C’est le tien !
– Je préfère avoir l’usage de mes mains.
Alençon agita sa lame :
– Messeigneurs, en avant, pour Dieu et le royaume !
Ils le suivirent, Ogier priant pour que la male chance épargnât son Blanchet.
L’étalon piétina des Génois morts ou mourants, qu’il ne pouvait éviter. « Méprisables Valois ! » Ogier ne pensait plus qu’à cela : « Abjects Valois ! » Suivre ce misérable Alençon ! Le suivre d’aussi près que possible. Ces milliers de chevaux galopant vers le faîte de la colline provoquaient un frai (401) pire que cent orages réunis ; un vacarme dont les Anglais n’avaient cure.
Un scintillement de Crécy à Wadicourt : des épées que l’on dégainait avec ensemble. Une nouvelle pluie de flèches. Ogier vit des chevaux s’effondrer sur le flanc, le ventre, la tête ; des chevaliers branler sur leur selle et basculer, certains restant accrochés par l’étrier jusqu’à ce que, tombant enfin, ils fussent piétinés par les montures de leurs compagnons. Il vit choir des épées, des lances, des écus et des bannières, mais les chevaleries du roi et de son frère progressaient toujours tandis que celle de Jean l’Aveugle semblait s’attarder.
Deux cents toises… Cent… Cinquante… Les Anglais prenant taille et forme humaine derrière leurs verdoyants roulis…
« Les épieux ! »
De terribles
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