La fête écarlate
arbalète. Tout ce qu’ils ont à faire – et qu’ils font – c’est d’en tirer la corde avec leur cranequin.
Ogier s’aperçut que sa voix chevrotait. Quelle singulière différence entre la bruyante et confuse mise en place des combattants de Philippe VI et, côté anglais, cette absence complète de mouvements, de cris, d’acte de guerre.
Des hommes passèrent – un bon millier, toujours sans ordonnance. Ils portaient la cotte rouge à croix blanche des archers du roi ; leurs carquois étaient pleins, leur démarche assurée ; certains souriaient. Des vougiers, guisarmiers et picquenaires les suivaient l’arme au poing et l’écu tressautant sur l’épaule.
– Nous devrions déjà les avoir assaillis, dit Alençon dont le cheval semblait aussi impatient que lui-même.
– Le temps approche, mon frère… Mais nous ne pouvons galoper sans atournements (391) … Les Génois et nos piétons commenceront. Doria et Grimaut (392) sont avec eux. Je viens d’ailleurs de donner des ordres pour que…
Agitant son gantelet, le sire de Montmorency hurla :
– Arrêtez tous !… Que la piétaille embrasse l’écu et le porte en chantel (393) !
– S’arréer (394) en si bon chemin ? s’étonna quelque part Miles de Noyers. Sergents ! Sergents ! Pressez-moi ces hommes… Ce sont des Normands. Ils reculent depuis Valognes. Qu’ils avancent au moins une fois !
– L’infâme ! grommela Thierry sans qu’Alençon, qui l’avait entendu, y trouvât à redire.
Un Génois passa, boitillant, et s’arrêta devant le comte :
– Ah ! monseigneur… Pourquoi ne pas remettre cette marche à demain ?… Nous avons couvert six lieues tout armés… Et voyez : nous ne sommes nullement ordonnés pour accomplir un grand exploit !
Le comte tendit la main vers les bosquets :
– Tes compagnons sont déjà là-bas ! Cours les rejoindre si tu le peux !
Ogier et Thierry échangèrent un regard. Philippe VI, occupé à dire quelques mots à Blainville, demanda :
– Que te disait ce mercenaire, Charles ?
– Qu’il était las ainsi que tous ses pareils !
Et le comte cligna de l’œil, non par malice, mais parce que le soleil venait de se montrer et qu’il l’avait de face, comme tous les Français, alors que les Anglais l’auraient de dos, ce qui les avantagerait. Puis, tourné vers Ogier et désignant le Génois :
– À quoi bon se charger d’une telle ribaudaille qui faillit lorsqu’on en a besoin ! Ils ne sont bons fors à table !
Il n’y avait rien à répondre. Les chevaliers de l’avant-garde suivaient désormais les piétons, sans qu’aucun maréchal ne les en eût priés. Ils étaient deux ou trois cents et semblaient pressés d’atteindre les bosquets éclaboussés des lueurs que jetaient les armes des hommes de pied. Voyant cette confusion, Philippe VI hurla :
– Arrêtez !… Arrêtez !
– Nous ne nous arrêterons, sire, dit Miles de Noyers, que lorsque nous serons au premier rang des nôtres pour combattre.
Et le vieillard entraîna indûment avec lui un escadron bien fourni dont les hommes hurlaient :
– À la mort ! À la mort !
– Suivons-les jusqu’à ces arbres, là-bas, dit le roi, furieux et comme résigné. Mais ensuite, l’ost tout entier cessera d’avancer.
L’armée dispersée, éparse, trottinante, clopinante ; l’armée à laquelle il manquait de quinze à vingt mille hommes, parcourut, jusqu’aux bosquets, le tiers du Val-aux-Clercs.
« On ne sait toujours pas qui commande », se dit Ogier. « Les Génois vont avoir le soleil dans l’œil. Comment, ainsi, ajuster leur tir ? » Soudain, les mercenaires qui s’étaient arrêtés sous les arbres repartirent vers l’ennemi en courant autant qu’ils le pouvaient.
– Que ce passe-t-il ? demanda Philippe VI.
– Hé quoi, sire ! dit quelque part Saint-Venant. On leur a dit de guerpir afin de nous céder la place. Ils peuvent avancer de deux cents toises pour nous permettre de nous ordonner en batailles !… Tenez, nos piétons les suivent… Et les Goddons restent quiets !
Le roi ne disait mot ; son frère souriait : il allait enfin courir sus à l’ennemi.
– Cette piétaille nous bouche le champ, grommela-t-il. Que fait-on, Philippe ?
Que faire ? Le roi n’en savait rien. Considérant ses maréchaux et capitaines également indécis, il leur dit, haussant ses épaulières :
– Continuons d’avancer jusqu’à ces boqueteaux.
Comme
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