La fête écarlate
fois, ce coquin ne va pas s’écarter !… Son cheval secoue la tête – les mouches – et sabote : toujours nerveux… »
Regardant les cimes des arbres, il comprit que le vent forcissait, il en sentait d’ailleurs les petites flèches fraîches dans les trous de la vue et de la ventaille. Présentement, il ne transpirait pas, et c’était heureux.
« Quand la sueur se met à couler, elle n’a plus de cesse. Malgré les sourcils, elle pique les yeux, le cou… »
La sonnerie des trompettes. Prêt ?
– Oh ! le linfar ! Il a pris son eslai (47) !
Sans avoir prévenu en brandissant sa lance, Blainville galopait sous les huées.
Outre qu’il l’avait pressentie – en s’y préparant –, cette déloyauté satisfît Ogier : elle révélait chez son adversaire un courroux grandissant. Il lança Marchegai, qui prit aussitôt de fermes appuis sur le sol et progressa plus vélocement que le gros Melkart.
Lance couchée, serrée sous l’aisselle, le corps présentant bien l’épaule gauche, l’écu solidement maintenu ; l’armure de l’autre, miroitante ; la longue bannerole de soie vermeille suspendue à son heaume flottant non pas derrière, mais du côté de la barrière ; le griffon couronnait le tout ; éviter de fléchir… Là, maintenant… Hé, ce mécréant visait bas !
Sous le choc sonore, Ogier se sentit violemment repoussé contre son troussequin. Ses oreilles bourdonnèrent ; son cœur éclata, semblait-il, sous la pression du bouclier.
– Oh ! gémit-il, le souffle coupé, ruisselant d’effroi bien que sorti indemne – ou presque – de cette collision si furieuse que Marchegai, brusquement retenu dans son galop, s’était cabré avant de repartir à l’amble, hennissant et inquiet.
« Bon sang, il a cherché à m’éventrer ! Si je ne m’étais penché pour esquiver, il m’aurait mis à bas, mort ou eshanché (48) . »
– J’ai eu peur !
Grognant cela, Ogier obtint de son cheval un tête-à-queue à la suite duquel, lâchant son tronçon, il retourna vers ses gens en longeant la barrière. Blainville revenait ; au passage, il agita son poing, transformant aussitôt les cris joyeux du public en une clameur moqueuse.
« Il ne salue pas les dames… Je le fais. »
L’une d’elles s’écria – et ce n’était ni Blandine ni sa mère, mais la brunette en robe rouge, proche d’Isabelle :
– Avantage au Poing Vermeil… Avantage !
Il eut un geste de gratitude. Tout se passait au mieux parce qu’il demeurait maître de son esprit et de son corps. Vivacité de l’un, solidité de l’autre ; c’étaient les privilèges de la jeunesse, et sa détestation aiguisant l’un et renforçant l’autre, la raison de sa supériorité. Car la brunette disait vrai : il s’était révélé meilleur que Blainville. Reprenant souffle et confiance, il se souvint :
« J’ai atteint son heaume. Mon rochet a dû l’enfoncer tant était fort le coup… Il aura moins d’air encore, là-dedans… »
Raymond accourait :
– Ben ça !… Vous l’avez bûché si fort que son griffon brandille sur sa tête.
– Oyez, dit Denis, l’assemblée vous honore.
Cris de joie, crépitements de mains. Il fallait s’en délecter raisonnablement.
– Je n’ai pourtant commis aucun miracle. J’ai même failli verser après l’avoir atteint… Est-ce parce qu’ils le détestent eux aussi qu’ils se merveillent pour moi ?
Ogier se pencha :
– Parlez plus haut !… Que dites-vous encore ?
– Que son cheval, messire, à moins de (49) qu’on croyait. Il galopait fort bien quand, juste avant de vous atteindre, il a changé…
– Changé, Thierry ?… Que me chantes-tu là ?
– Il dit vrai, approuva Denis. Le gros destrier galopait sur le devant et trottait à l’arrière. Il le devait sans doute à quelque coup de bride… ou d’éperon.
– Ou bien, dit Raymond, un de ses harnois – ventrière ou croupière – s’est desserré. En tout cas, il était hobin (50) quand il aurait dû galoper des quatre jambes !
Ogier sourit sous sa défense de tête. « Dieu m’aide ! » Mais avant d’en être certain, il devait courir une troisième fois contre Blainville… un Blainville mortellement furieux.
De nouveau, le maréchal de lice s’approchait :
– Êtes-vous disposé, messire ?… Le temps presse.
« En voilà un auquel mon poing semble déplaire ! »
– Vous pouvez me faire quérir une autre lance.
Un
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