La fête écarlate
Ogier soupira d’aise :
« Heureusement que je n’ai pas ce prix !… Qu’en aurais-je fait ?… Je n’aurais même pu le donner à Blandine. »
Tandis que l’écuyer de Hautepenne, un jouvenceau blond et, recevait l’oiseau sur son gantelet, Olivier de Fontenay poursuivait d’une voix moins forte – comme à regret :
– Le plus beau coup de rochet de ce jour d’hui, Ogier de Fenouillet l’a fourni contre Guichard d’Oyré, qu’il a bouté hors de sa selle en partant lance basse… Nous savons tous, messires, quelle lourdeur atteint le bois lors des dernières courses, et quelle vigueur il faut avoir pour le soulever de bas en haut…
– Montjoie ! Montjoie ! Montjoie ! hurla Radegonde Bochet.
Sauf Oyré, Herbert Berland, son épouse et sa fille – celle-ci visiblement à contrecœur –, les convives crièrent à trois reprises, affolant le faucon et le faisan, le premier regardant le second avec le désir évident de fondre sur lui.
Ogier s’inclina devant Isabelle, le coffret d’émail à la main.
Elle souriait, les yeux clignotants, les joues pourprées. La prenant aux épaules pour lui donner un baiser, il sentit la tiédeur de sa peau à travers la soie de sa robe blanche ; et ce fut elle qui l’attira d’une main ferme contre son corps et le baisa sur la bouche.
– Damoiselle…
De sa langue, il lécha sa lèvre supérieure pour effacer le sang qu’il y sentait perler. « Folle ! Elle est folle !… Et Blandine paraît avoir honte pour moi ! » Il vit aussi Thierry, près de la cheminée, l’air confus et irrité.
– Dieu veille sur vous, messire, dit Isabelle, car par ma foi, je crois que vous en aurez besoin !
À nouveau, comme au donjon de Morthemer, elle avait un visage inquiétant : des yeux de braise, une bouche humide et tremblante au point qu’elle semblait refréner des injures ; le front embué par un flux de pensées furibondes. Derechef, elle le haïssait !
« L’avertin (107) », songea-t-il. « Aucun doute : elle en est atteinte pour son malheur et non pour le mien ! »
Posant le coffret près de son écuelle il dit d’une voix basse et presque compassée :
– Dieu veuille, damoiselle, continuer de m’accorder le même soutien que ce jour d’hui…
Elle rit mais fut privée du plaisir de répondre, car Olivier de Fontenay proclamait :
– Le troisième prix, à celui qui demeura le plus longtemps sur les rangs sans se désheaumer, revient également au chevalier de Fenouillet…
Le Roi d’armes toussa : la suite lui coûtait :
–… ainsi que celui du Coup de lance des Dames.
Se détournant pour échapper aux regards d’Isabelle, Ogier vit Alix d’Harcourt ôter son collier d’or, se lever et marcher vers lui, souriante :
– Un bracelet que vous remet notre reine… Un pentacol que j’ai porté chaque jour, des Pâques dernières jusqu’à celles-ci… Messire Fenouillet, le Ciel était pour vous tout cet après-midi !
Le baiser de la baronne fut doux et frais ; Ogier l’en remercia d’un sourire. Ensuite, comme son oncle le lui avait appris, il saisit la petite main nue de la châtelaine dont il porta le revers à ses lèvres :
– Mille grâces…
Puis, considérant l’une après l’autre les femmes de l’assistance, les unes charmées, les autres déconcertées par une conduite hommagiale dont elles n’avaient point coutume :
– Dames, suis-je digne d’aussi beaux présents ?
– Oui ! cria Radegonde Bochet.
Au risque d’encourir un blâme de sa mère, Blandine approuva cette effrontée dédaigneuse des convenances ainsi que des mines sévères de Géralde de Morthemer et de sa nièce.
– Que notre reine, dit Alix d’Harcourt, vous baise donc pour elles toutes.
– Soit, consentit Ogier.
Derechef, Isabelle l’empoigna par la taille et l’attira contre sa poitrine dont il sentit les mamelettes dures, épanouies, tandis que, la bouche fiévreuse, elle suçait sur sa lèvre une goutte de sang. Il y eut un « Oh ! » étouffé. Ce n’était ni Blandine ni sa mère ni la dame de Morthemer qui exprimait ainsi son déplaisir, mais Radegonde. Que faire, sinon éloigner doucement l’insensée.
– Vous vous en repentirez.
– Conduisez-vous en reine, m’amie, et non en…
Ogier s’interrompit, moins par souci d’être honni d’Isabelle que par crainte de provoquer, parmi les chevaliers, un regain de détestation. Quant aux femmes – sauf Blandine –, peu
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