La fête écarlate
à son tour le faisan, et à l’instigation de ce triomphateur, chacun ferait un vœu en regardant l’oiseau, et plus ces serments deviendraient audacieux, plus les dames s’en montreraient enchantées (102) .
Au-dehors retentit une musique joyeuse, et bientôt quatre ménestrieux apparurent jouant du luth, de la flûte, de la cornemuse et du cornet. Accompagnés de la jouvencelle à la doucine, ils firent quatre fois le tour des convives, s’arrêtèrent derrière le baron et cessèrent de jouer. André de Chauvigny se leva :
– Messeigneurs, gentilfames, messires… En ce soir de joutes et de Pâques, il convient de nous conformer aux usages suivant lesquels, lors des grandes liesses et régals (103) , on montre aux prud’hommes un paon ou un faisan pour exprimer des vœux utiles non seulement aux dames et damoiselles présentes parmi eux, mais également à tout ce que l’on espère…
Il renvoya les musiciens tandis qu’Ogier croisait le regard de Blandine. Il n’eût su dire comme elle l’examinait. Amour, certes. Mais encore ? Tristesse ? Ennui ? Jalousie de le voir placé entre deux jolies convives ? Avant que d’en connaître la saveur, il se délecta du dessin de ses lèvres, même boudeuses, et de ce froncement de sourcils prouvant au moins que l’amertume lui seyait bien. Chaque fois qu’il l’observait, c’était toujours avec une sorte de doute extasié, les mêmes gros battements de cœur, la même crainte de la perdre. Il éprouvait pendant quelques gouttes de temps une impression singulière de soumission, d’angoisse et de bonheur. Et cette salle dans laquelle il avait connu les juges Arnaud, Amaury et Augustin, lui semblait tout à coup étouffante malgré ses vastes proportions et ses deux baies ouvertes à la nuit. Penché sur le faisan de plus en plus effrayé par les luminaires et le rougeoiement de la cheminée, il rencontra le visage de damoiselle – ou dame – Radegonde. S’il ne put définir l’expression rêveuse de ses yeux noirs, il fut surpris par la douceur de son sourire et la blancheur de ses petites dents :
– Messire, vous devez être heureux !
Ogier, troublé, ne put prononcer un mot : à l’invitation d’Alix d’Harcourt, la jouvencelle qui avait apporté le faisan saisissait d’une main l’oiseau, de l’autre son perchoir et s’en allait les déposer, l’un sur l’autre, devant le comte d’Alençon, approuvée par Isabelle et la tablée tout entière.
– Non ! Non ! s’écria-t-il. C’est trop d’honneur pour moi.
Ogier considéra cette face empourprée aux traits lourds, aux regards et sourires obliques. Rien n’était droit chez cet homme. Il feignait la vigueur, la magnanimité ; il avait semblait-il oublié que Raoul de Cahors, d’un seul coup de lance, l’avait bouté hors de selle. Malgré ses dénégations destinées à faire accroire aux vertus d’un caractère dont la simplesse et la bienveillance constituaient les qualités dominantes, l’oiseau ne lui eût-il pas été présenté qu’il s’en serait offensé.
– Le champion de ce jour d’hui, c’est Fenouillet, dit-il, maussade. Portez-le-lui !
L’oiselière reprit le faisan apeuré et le déposa devant Ogier. « Le voilà », songea-t-il, « qui reprend presque sa place. » Et comme Alix d’Harcourt battait des mains, les convives l’imitèrent, les uns vivement, les autres du bout des doigts, sauf les trois Berland, immobiles. Constatant ce manquement inattendu aux usages, la vicomtesse, déçue, s’engrina.
– Ceux qu’il a dominés, dit-elle sèchement, savent bien qu’il fut le meilleur ! Herbert Berland ne pourra en disconvenir… Allons, levez-vous, messire Fenouillet. Il importe que nous vous voyions bien !
Obéissant et dominant son émoi, Ogier remercia d’un geste. Une fois qu’il se trouva de nouveau assis entre la reine et Radegonde Bochet, son regard rencontra celui de la baronne de Morthemer.
« On croirait qu’elle va pleurer ! Quant à sa nièce… »
Isabelle avait pris part à l’hommage ; regrettant violemment sa conduite, elle déchiquetait une tranche de pain.
– Vous réprouvez ce choix, Isabelle ?
La reine fut privée du plaisir de répondre, car tapant de nouveau dans ses mains, dame Radegonde exigeait :
– Votre vœu, messire Fenouillet ! Votre vœu !
Ogier se leva, contempla l’oiseau et lui caressa la tête sans qu’il en parût effrayé. Bec jaune, yeux vairs, cou châtain dont les
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