La fête écarlate

moires argentées rappelaient les lueurs des yeux de Blandine ; ailes dorées et les longues plumes de la queue semblables à des badelaires sarrasins… Se tournant vers la dame de Chauvigny, il surprit, au passage, l’expression inquiète de son époux.
    « Donne-t-il de mauvais gré asile à son beau-frère ? Son Alix paraît très soucieuse, elle aussi… »
    Alors, en s’inclinant vers l’évêque occupé à sucer ses doigts gluants de sauce poivrade :
    – Je voue à Dieu, mon créateur, tout premièrement, et à la très glorieuse Vierge, et après aux gentilfames et au faisan que voici, la promesse d’être vaillant et de faire en sorte que les Anglais soient boutés hors de notre royaume si, à nouveau, ils essayaient d’y entrer !
    Il se rassit, furieux. Tout d’abord, Blainville, attentif, n’avait point bronché. L’allusion aux Anglais avait coulé sur lui sans qu’il parût concerné par elle. Ensuite, dans un émoi qu’il ne pouvait maîtriser tellement il dévastait son cœur, il avait omis d’exprimer un vœu d’amour, celui que Blandine, sans doute, espérait.
    – Vous voilà bien hardi, messire ! dit Isabelle.
    Sa moquerie s’étant révélée sans effet, elle ouvrit la bouche avec l’évidente intention d’y ajouter quelques mots drus, impertinents ; elle en fut empêchée par le comte d’Alençon, debout, majestueux dans le pourpoint bleu semé de fleurs de lis qu’il semblait avoir emprunté à son frère. Levant sa dextre, il s’écria :
    – Aux vœux, messires !… Par ma foi, je reprends d’abord celui de Fenouillet : je n’aurai de vrai sommeil tant que les Goddons ne seront pas boutés hors de Bretagne. Et si d’autres voulaient nous molester en quelque autre contrée que ce soit, eh bien, ils connaîtraient la pointe de mon glaive !… À vous, messire l’appelant (104)  !
    André de Chauvigny se leva tout en effleurant du regard son épouse. Une expression indéfinissable tomba de ses sourcils à sa bouche, et la voix mate, uniforme, il déclara :
    – Je fais vœu d’apporter chaque jour dilection et joie à mon Alix… À vous, Charles !
    Espagne, debout et chancelant – était-il ivre ? –, joignit ses mains chargées de grosses bagues cependant qu’une évidente anxiété moitissait et pâlissait son visage sans grâce, où les deux tendances contradictoires, homme et femme, ne parvenaient à se concilier :
    – Je fais vœu que notre cher duc Jean entre demain dans Aiguillon… N’est-ce pas, Guînes ?
    Le messager du prince se dressa, triste ou rêveur :
    – Je réciterai dix Pater tous les matins pour le bonheur de la femme que j’aime.
    Une main effleura le genou d’Ogier ; celle d’Isabelle.
    – Savez-vous ce qu’on jabote sur l’amour de cet homme ?
    – Non.
    – Qu’il est l’amant de Bonne, l’épouse du duc Jean.
    Que dire ? Rien. Tancarville se leva. Cramoisi, l’œil exorbité, il tapa furieusement du poing sur la table pour prophétiser d’une voix tonnante :
    – Avant la fin de l’année, je planterai mon pennon en haut de la plus haute tour de Londres !
    Blainville s’ébaudit et ajouta vivement, sans même quitter son siège :
    – Je fais vœu de servir mon roi et mon royaume.
    « Ce finaud ne dit pas lesquels », songea Ogier.
    Rochechouart, debout, considéra Blandine :
    – Je fais vœu d’être aimé par la femme que j’aime.
    La pucelle baissa la tête sur son écuelle ; Herbert Berland se rengorgea :
    – Si par malheur les Anglais s’aventurent en Poitou, je fais vœu de les poursuivre jusqu’à la mer !
    Ce fut à dame Berland de se rengorger, au point qu’Ogier s’aperçut qu’il détestait cette femme plus encore que son époux.
    De tout son haut, Godemar du Fay considéra l’assemblée :
    – Dût-il y avoir un millier de Goddons devant moi, je fais vœu de me battre jusqu’à la mort !
    Un sourire anima les lèvres grasses de Blainville ; Maubue de Mainemares, debout, déclara :
    – Mon vœu est pareil au tien, Godemar !
    Guichard d’Oyré bomba sa poitrine, ce qui du même coup lui distendit le ventre. Sa dextre longue, épaisse, oscilla deux fois avant de se crisper sur la poignée d’ivoire de la dague qu’il portait à la hanche :
    – Dès demain, j’aurai une chaîne en guise de ceinture d’armes…
    Il considéra sa voisine, immobile et revêche, le visage sans doute aussi impénétrable que le corps : elle s’était attendue à quelques