La fête écarlate

angoisse invincible quand les yeux du Normand, pour une fois grands ouverts et d’une fixité tenace, enfoncèrent leur inquisition dans les siens.
    – D’où tenez-vous, Fenouillet, que monseigneur Charles de Valois est menacé ?
    La voix s’était haussée, métallique, arrogante ; celle d’Ogier en devint d’autant plus doucereuse :
    – Je ne puis, messire, rien vous confier.
    – Ah ! c’est trop fort… Vous savez et refusez de me répondre ?
    « Il s’effraye… Craint-il qu’il existe un traître… ou une traîtresse parmi ses complices et que l’un ou l’autre m’ait averti de ce qui se prépare ? »
    – Eh bien, je vais vous le dire, moi, Fenouillet !… Monseigneur Alençon est menacé par vous  !… Et si je n’étais revenu alors que vous avez pu le voir seul à seul – ce qui est, Charles, une imprudence grossière – qui sait si maintenant le frère de notre suzerain ne gésirait pas là, sur cette couche, le cœur percé ou la gorge tranchée… et baignant dans son sang !
    – Messire, c’en est trop !
    Ogier se rapprocha du malandrin exaspéré dont il put voir, sous le pourpoint de soie noire, jouer les muscles puissants et souples. Il allait devoir parler, peut-être tout dire, quand Alençon, à demi dressé sur sa couche, torse nu et presque aussi poilu que ses pelages d’ours, hurla : « Taisez-vous ! » tandis qu’une expression d’altière supériorité, inconnue des deux adversaires, apparaissait sur son visage :
    – Allons, Richard, allons !… Du bon sens, je vous prie… Depuis que Fenouillet est présent à mon côté, il a eu vingt fois l’occasion de plonger son poignard dans mon corps… Il ne l’a pas fait… Je sais tout l’intérêt que vous portez à ma personne ; je vous sais bon gré de veiller sur moi et de m’avoir prévenu que j’étais en danger. Je vous sais également bon gré d’avoir trouvé vous-même un subterfuge pour déjouer les desseins de ceux qui m’en veulent… Mais soyez moins roide avec Fenouillet ! Je le tiens pour un bon chevalier, même avec ce défaut d’orgueil qui m’a ce soir, à table, petitement porté sur les nerfs… Partez, Richard… Oui, oui : laissez-nous…
    Blainville s’apprêtant à protester, Alençon, de la pointe de son percemaille, lui montra le seuil sur lequel Étienne de Vertaing attendait, tête basse :
    – Je sais quelle est votre importance, Richard, et la place que vous occupez auprès de mon frère… Mais prenez ce congé de la façon dont vous voudrez : je veux être seul un moment avec Fenouillet, et c’est mon bon plaisir et mon droit !
    – Le roi lui-même ne me traiterait pas ainsi, en effet !
    – Il se peut. Je ne suis pas Philippe et n’ai que faire de sa bénignité à votre égard… Vous me semblez nerveux, allez donc dormir.
    C’était un renvoi déplaisant, surtout en présence d’un tiers exécrable. Les narines du Normand se dilatèrent et flairèrent l’air tiède de la tente comme l’eût fait un chien fourvoyé à l’extrême ; et brusquement son poing se tendit vers le témoin de son humiliation :
    – Tu me le paieras, maudit coquin !… Tu ne sais que porter de mauvaises nouvelles !… Menteur !… Ah ! oui, tu me le paieras !
    Dès qu’il fut sorti, Ogier l’entendit admonester les gardes : surpris par ce départ hâtif, sans doute avaient-ils hésité à décroiser leurs armes, et s’était-il jeté dedans tête baissée. Celle d’Alençon, ivoirine et comme allongée par la calvitie, retomba sur son chevet.
    –  Menteur  !… En vous traitant ainsi, Fenouillet, le voilà qui se contredit… Quant à ses menaces…
    Le comte lança son bras en arrière. Ogier fut tenté de remarquer que celles-ci s’adressaient également à lui, Charles de Valois, mais sa confiance en cet homme restait mesurée. Il devait toutefois profiter de cet accès de bienveillance à son égard pour obtenir un appui décisif. Or, le gisant s’écriait :
    – Ho ! là là, ce Blainville…
    Ogier perçut dans cette exclamation autant d’acerbité que de moquerie.
    – Il est tellement chevillé au pouvoir, depuis cinq ou six ans, que parfois il se prend pour notre souverain !
    Vautré derechef dans ses peaux de bêtes, Alençon s’interrompit, laissant ainsi son visiteur apprécier sa confidence. «  J’ai donc deviné juste au cours du banquet ! » La froideur du comte envers Blainville ressortissait à l’inimitié, si bien