La fête écarlate
orage inopiné… Vous êtes trop sûr de vous : il vous mésarrivera…
L’autre leva les bras comme s’il venait d’entendre une ânerie, et il fallut à Ogier quelques instants d’attention soutenue pour déceler dans les regards furtifs que se lançaient les trois compères les indices d’une dérision fielleuse à son égard. « Et je ne leur ai rien fait ! » Il les avait vus s’approcher de lui avec une sorte de gaieté qu’il avait crue de bon augure ; or, cette hilarité n’était qu’un leurre dissimulant une détestation sans recours. Plutôt que d’aller vers eux, il eût dû les éviter.
– Holà, Fenouillet ! Je connais bien, je connais mieux que vous nos affreux voisins du Tournaisis… À quoi pensez-vous ? À la guerre ?… Édouard la fait aux Escots (147) . Il va nous laisser en paix…
Saisissant ses deux compères par l’épaule, du Fay s’esclaffa :
– Il ne faut pas vous effrayer ainsi !
Décidé à se montrer patient, Ogier se tourna vers Tancarville :
– Nul n’ignore, messire, que vous allez à Paris. Allez-vous faire le chemin tous trois ?
– Bien sûr.
– Pourrais-je chevaucher avec vous ?
Guînes se cabra et faillit tomber ; Tancarville veillait : il le maintint debout.
– Pourquoi veux-tu venir ? Pour voir le roi sitôt après que nous l’aurons visité ?
– Et si c’était mon intention, messire ?
Guînes siffla et dit : « Ho ! Ho ! » Les autres s’ébaudirent tandis qu’en se reprochant de s’enferrer bêtement, Ogier, une dernière fois, s’exhortait à la patience. Enfin, redevenant sérieux, Guînes répéta :
– Voir le roi ! Pour lui dire quoi ? Des choses d’importance… Confie-nous tes tourments, nous les rapporterons à Philippe s’ils en valent la peine… Tu pourras revenir chez toi bien quiet, sans avoir fait une longue reze (148) !
Après s’être retourné pour cracher, Tancarville releva la tête et s’exclama :
– Richard ! Sacre-Dieu ! Vous n’êtes pas couché, vous non plus !
Encore lui. Il souriait, le chaperon repoussé en arrière.
– Apprenez, messire Blainville, ricana Godemar du Fay, la dernière de Fenouillet. Il veut nous suivre à Paris… Et savez-vous pourquoi ?… Pour voir le roi et lui annoncer des choses terribles, sans doute…
« Quel baveux (149) de bâtard de merde ! »
Ogier, impuissant, surprit dans le regard de Blainville une lueur de trouble ou d’incrédulité.
– Terribles ?
Ogier exécra ces trois sots presque autant que le Normand :
– Je n’ai rien dit de semblable… Je n’ai même pas dit qu’il me plairait de voir le roi… C’est messire Guînes qui a lancé cette bourle !
Blainville souriait, bienveillant, « paternel » :
– Si vous voulez que Philippe vous accueille, il m’est aisé de vous obtenir cette audience… mais à la condition d’en connaître l’objet… N’alliez-vous pas vous confier à nos trois amis ?
– Certes non… Je n’ai rien à confier à quiconque. Pas même à vous, messire…
Blainville, un moment, se sentit mis à quia. Il se reprit et, les bras croisés, parut fournir un gros effort pour demeurer maître de sa personne et de son personnage.
– Pâques-Dieu, vous me courroucez encore, Fenouillet, bien que je me montre aidable à votre égard !… Votre irrévérence devient par trop grossière…
Rester immobile et s’apprêter à recevoir quelques injures de cette bouche venimeuse ; subir avec une indifférence feinte l’examen de ce regard froid et comme aiguisé.
« Il n’osera me provoquer parce que, me sachant habile, il craint trop pour sa précieuse vie… Je dois me faire humble et peureux. »
Alors, d’une voix assourdie :
– Je ne tiens nullement à vous offenser, messire.
Puis tourné vers Champartel :
– Viens…
Furieux de ce départ passant pour une fuite, Ogier abandonna les quatre hommes à leur stupéfaction et à leurs commentaires, tandis que son écuyer grommelait :
– Vous êtes avisé, d’ordinaire, et tout à coup, vous vous conduisez niaisement… Votre esprit, ce soir, semble galoper droit et sans frein… Votre sang bout un peu trop et cela peut vous porter préjudice !… Ce n’est nullement le moment de commettre une erreur… S’il faut aller à Paris, j’irai comme vous me l’avez demandé.
– Tu as raison : ma fureur est comme un cheval dont je tiendrais mal les rênes !
– La bonne chance paraît
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