La Fille de l’Archer
bien que moi ce qu’il est en train de préparer. Tu as entendu la flûte…
— Oui, capitule Gérault. Il en joue de mieux en mieux.
— Exactement. Il ne faut pas lui laisser le temps de dérouler la mélodie sans fausse note.
— Vous avez raison. Mais vous aurez du mal à gagner le sommet, vous allez marcher face au vent. Et il y aura les loups.
Brusquement, une pensée affreuse traverse l’esprit de Wallah. Et si Ornan de Bregannog l’emmenait pour l’offrir en pâture à la meute ? Gunar lui a raconté que c’était jadis une ruse pratiquée par les Vikings. Lorsqu’il leur fallait traverser une étendue glacée, ils abandonnaient aux loups le plus faible des guerriers. Ainsi, pendant que les fauves festoyaient, ils poursuivaient leur chemin en paix. Le baron aurait-il prévu d’agir de même ? Cela expliquerait ses soudaines confidences et les compliments dont il l’a abreuvée un instant plus tôt ! Cette pommade n’était-elle destinée qu’à endormir la méfiance de celle qui va finir dans l’estomac des fauves ?
Gérault s’active, chuchotant des ordres aux serviteurs maures. Bientôt, l’équipement s’entasse sur la grande table de la cuisine : fourrures, bottes, sacs, pièces de toile huilée, ainsi que des carrés d’osier munis de lanières nommés « raquettes », et que Wallah sait être des supports permettant de marcher sur la neige sans y enfoncer jusqu’au ventre.
— N’oublie pas le parfum, chuchote Ornan à l’oreille de l’intendant.
— Vous m’avez dit ne pas croire à l’existence du démon à deux têtes ! siffle la jeune fille.
— Je ne crois pas au dévoreur, certes, précise le baron, mais il est possible que mon oncle ait dressé un dogue à reconnaître mon odeur.
— C’est malheureusement exact, confirme Gérault. Plusieurs nuits de suite, nous avons entendu cette bête haleter et renifler dans les couloirs du château. Elle cherchait sa Seigneurie. Nous pensons que ce molosse s’introduisait dans le château par les souterrains, car il pouvait se faufiler là où aucun homme n’aurait pu passer. Les parfums l’ont toujours empêché de localiser la chambre de mon maître, et chaque fois il devait s’en retourner bredouille, au lever du jour.
— Mon oncle aimait dresser ses chiens de chasse, lâche Ornan de Bregannog. Il mettait un point d’honneur à les changer en fauves, en chiens de guerre. Il les habituait à combattre les loups et les ours. Ces bêtes ignoraient la peur, elles attaquaient sans crainte de se faire déchiqueter. J’en ai vu qui, le ventre ouvert, semant leurs entrailles, continuaient à mordre leur adversaire. Si cette bête m’avait trouvé, elle m’aurait réduit en pièces…
Ces précisions sont inutiles puisque Wallah a aperçu le chien en question lors de sa première nuit passée au manoir, mais la jeune fille n’ose interrompre le baron dans sa démonstration.
— Les parfums brouillent l’odorat des molosses, se croit forcé d’expliquer Gérault. Ils auront le même effet sur les loups. Les carnassiers n’ont pas pour habitude de prendre en chasse ce qu’ils ne peuvent renifler.
— Le vent va dissiper les odeurs, plaide Ornan, voilà pourquoi nous aurons intérêt à nous déplacer pendant qu’il souffle, mais il peut tomber, et dès lors nous aurons recours aux parfums.
— Des fragrances orientales, précise l’intendant, chargées en pavot, et qui agissent sur l’odorat des chiens, des loups. Lorsqu’ils ont les naseaux engourdis, ces bêtes perdent le sens de l’orientation, elles se mettent à tourner en rond en glapissant comme des chiots. L’extrême sensibilité de leurs narines se retourne contre eux !
Wallah hoche la tête. On ne lui apprend rien. Il y a longtemps que les forains utilisent des excréments de lion pour éloigner les chiens du guet ! Les deux méthodes se rejoignent dans l’efficacité.
Les serviteurs maures vont et viennent en silence. Le paquetage est rassemblé. Wallah et le baron enfilent les fourrures. En ce qui concerne les provisions de bouche, ils n’emporteront pas de viande, rien qui puisse allécher les loups. Uniquement des galettes, de l’huile d’olive et des fruits secs. Du vin et une fiasque d’eau-de-vie. Une pierre à feu et du petit-bois, de quoi improviser un bivouac en cas de nécessité. Si avancer face au vent devient impossible, ils s’enrouleront dans les toiles huilées, imperméables, pour attendre une
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