La Fille de l’Archer
français aux pires sottises, et dont les Anglais, plus réalistes, se gaussent.
— Et que proposez-vous ? s’enquiert-elle.
— Il est hors de question de rester ici à attendre sagement que l’avalanche nous écrase, répond le baron d’une voix sifflante. Il faut sortir… le traquer… lui arracher cette maudite flûte et la réduire en poussière. Plus nous attendons, plus ses chances de jouer la partition sans fausse note augmentent. Cela finira par se produire, ne serait-ce qu’une fois… et ce sera une fois de trop.
— Vous croyez que c’est lui qui a décapité Gros-Nez et les deux patarins ?
— Sans doute. Qui d’autre ? En fait, j’espérais que vous réussiriez à le capturer avant l’hiver. Je l’aurais enfermé dans un cachot, là où il aurait perdu tout pouvoir de nuire.
— Vous n’avez jamais cru à l’existence du dévoreur.
— Non, mais il me fallait jouer la comédie. Je n’allais pas dévoiler mes secrets de famille à des saltimbanques !
— Pourquoi m’en parler, alors ?
— Tu n’es pas comme eux, je l’ai tout de suite vu. Tu es… étrange. Comme si tu venais d’un autre monde. Tu sembles de passage. Oui, c’est cela… une visiteuse, qui porte alentour un regard interrogateur. Si quelqu’un peut capturer Anne de Bregannog, c’est bien toi, et personne d’autre. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps de finasser. La menace grandit. Il me faut précipiter les choses. Tu ne t’en rends pas compte, mais la mélodie se précise… Chaque fois qu’il la joue, elle s’ordonne, se peaufine, perd son caractère hésitant. Anne se rapproche de la perfection.
— D’accord, soupire la jeune fille. C’est vous le soldat : quel est votre plan ?
— Nous sortirons, toi et moi, et nous escaladerons la montagne jusqu’aux ruines du château englouti. Je suis sûr que mon oncle y retourne chaque soir. Il est trop vieux pour vivre dans une grotte. Il a dû se ménager une cache dans les décombres, un endroit qu’il peut chauffer. Une fois là-haut, nous le capturerons et nous détruirons la flûte.
« Il serait peut-être plus juste de dire que tu lui trancheras la gorge, songe Wallah en son for intérieur. Difficile de jouer du pipeau avec le cou coupé, le souffle vous manque… »
Mais elle a beau s’appliquer au sarcasme, elle aime la complicité que les révélations d’Ornan tissent entre eux.
— Acceptes-tu de m’accompagner ? interroge le baron. Pour ce genre d’entreprise mieux vaut être deux, l’un veillant sur l’autre. Ce sera dangereux, je préfère t’en avertir.
Ce qui tente Wallah, en réalité, ce n’est pas de traquer l’oncle fou, non, c’est d’affronter la neige et le froid, les deux éléments de la terre de ses ancêtres. Jusqu’à présent elle n’a connu l’hiver qu’en ville et en campagne, ça ne compte pas. Depuis toujours elle se demande si elle saura se montrer digne de Gunar dont la jeunesse s’est déroulée dans les solitudes glacées. L’idée d’escalader la montagne, de braver une éventuelle avalanche, la séduit.
— Je viendrai, fait-elle. Mais si c’est pour mon talent d’archère que vous souhaitez m’avoir à vos côtés, je tiens à préciser qu’il me sera difficile d’utiliser mon arc, à cause du vent. Quand souffle la tempête, les flèches se perdent, on ne peut compenser la dérive. Le poids des flocons de neige ajoute encore à la difficulté. L’ennemi de l’archer, c’est tout ce qui vient du ciel : la pluie, le vent, la neige… Bref, ce qui modifie la trajectoire du projectile et l’écarte de sa cible.
— Je veux que tu m’accompagnes parce que tu es la seule en qui je puis avoir confiance, coupe Ornan. Je sais que tu ne te déroberas pas si les choses tournent mal. Il y a en toi cette flamme qui brûle chez certains chevaliers et qui parfois les pousse à relever les pires défis.
Dit-il la vérité ? Use-t-il de flatterie pour se l’attacher ? Wallah ne peut le déterminer.
— Puisque nous sommes d’accord, conclut-il, je vais demander à Gérault de préparer nos paquetages. Je connais les pièges de la montagne ; tu devras faire ce que je te dis et mettre tes pas dans les miens. C’est compris ?
Ils descendent prévenir l’intendant qui accueille la nouvelle d’un froncement de sourcils. Baissant la voix, il souligne que la couche de neige est bien épaisse.
— Je sais, tranche Ornan, mais avons-nous le choix ? Tu sais aussi
Weitere Kostenlose Bücher