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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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tuiles
brunes des toits, elle dispensait sa chaleur à quarante mille âmes. Jean s’écorchait
les yeux aux flèches des églises. La cité n’avait guère changé depuis des
années. Seul le faubourg à l’est du ruisseau de la canebière s’était agrandi. Au
loin, l’éperon pétrifié de la Sainte-Baume fendait une écume de nuages. Il
suivit du regard la crête aride de la montagne jusqu’à l’endroit où il
supposait qu’était Signes. Il essaya de retrouver l’image du village, mais trop
de temps s’était écoulé depuis l’installation de sa famille à Marseille.
    Les siens avaient quitté les terres peu rentables d’Agnis
quand l’évêque de Marseille avait offert un poste de capitaine à son père. Il
avait sept ans quand ses parents moururent de la fièvre quarte, dix quand son
frère aîné disparut en mer, quinze lorsque sa sœur se maria avec un bourgeois
de Montpellier, seize quand on le nomma écuyer au service d’un vieux chevalier,
Astaulf de Saint-Chamas, qui assurait la sécurité des routes et des chemins.
    Comme le navire pénétrait dans le goulet séparant la haute
mer de la rade, la Sainte-Baume disparut, masquée par la colline au pied de
laquelle les fortifications montraient la toute-puissance de la ville en
arborant les drapeaux de Provence, du Saint-Siège, du Saint Empire romain
germanique, de la maison de Toulouse et de celle de Barcelone. Marseille se
partageait entre tous les camps, ce qui lui assurait indépendance et prospérité.
    Il fallut une bonne heure de manœuvre avant d’aborder l’un
des quais de bois. Cinquante autres bateaux de fort tonnage et une multitude de
barcasses étaient amarrés aux centaines de pilotis plantés dans le fond vaseux.
Le port était comme un grand cœur auquel affluait le sang de l’Orient et de l’Afrique ;
il nourrissait toute la Provence de Valence à Fréjus et son influence
commerciale s’étendait bien au-delà de Lyon et de Perpignan.
    Jean détacha Hercule dont l’œil rond roulait sur la marée
humaine transportant des montagnes de ballots et de tonneaux.
    On attendait les nouveaux arrivants. Un bateau génois était
toujours promesse de bonnes affaires. On fit des signes à Jean ; il y
avait là des femmes joliment fardées. Elles lui rappelèrent ses escapades d’adolescent
quand il se rendait rue Trou-de-Moustier ou rue des Trompeurs. Une chaleur se
répandit en lui. Les belles montraient quelques parcelles de peau malgré la
fraîcheur de l’air. Jeunes, âgées, elles s’étaient regroupées par clans. Au
milieu de ces chairs et des gorges secouées par les rires, des hommes
jaugeaient les passagers un à un. Jean devait s’en méfier. Il arrima ses
bagages sur la croupe d’Hercule, glissa son argent sous la cuirie et prit la
file des voyageurs. Quand il mit le pied sur le quai, on l’entoura aussitôt. Une
paysanne lui plaqua un poulet plumé et un chou-fleur contre la poitrine. Un
coutelier agita sous ses yeux un éventail de lames. Un clerc lui proposa
quelques feuillets en peau de chèvre.
    — Monseigneur ! Deux sous melgoriens le feuillet
pour vos contrats ; les moines de Saint-Victor en font grand usage pour
leurs écrits !
    — Un demi-raymondin le poulet !
    — Et mes couteaux ? Les meilleurs de Marseille !
Forgés et trempés à la façon de Durandal. Le petit pointu pour saigner les
lapins, le recourbé qui écorche, pèle, cinq sous le tout !… Quatre sous !
    Le bel accent enchantait Jean. Il lui rappela l’enfance, les
années heureuses où il fouinait dans le ventre gras de la cité avec une bande
de morveux. La foule le soûlait de mots graveleux et d’odeurs. La sardine et la
lavande mêlaient leurs effluves à la puanteur du goudron fondu que les calfats
versaient au fond des coques. Jean repoussait gentiment toutes les propositions,
écartait les mains un peu trop vives qui frôlaient son torse. Les malins n’ignoraient
pas qu’il cachait ses deniers sous ses vêtements. Son argent, il l’avait chèrement
gagné en enlevant Eléonore d’Aquitaine et il comptait bien s’en servir. Plus
tard. À Signes. Pour rebâtir la maison de ses ancêtres et acheter du bétail.
    Il forçait le passage à travers le flot humain quand une
matrone l’arrêta. Brune, bouclée, charnue, presque aussi grande que lui, elle
ressemblait à une reine empâtée. Elle était alourdie de bijoux byzantins de
bronze. Trois colliers aux chaînons pareils à des olives reposaient sur sa
poitrine

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