La Fille Du Templier
connaissaient :
— En union avec Marie, Mère de Dieu, et avec tous les
saints, nous supplions le Seigneur…
Les deux comtesses relevèrent la tête ; elles n’avaient
pas d’autre choix, elles devaient intercéder auprès du Seigneur en unissant
leurs voix à celle de Guillaume.
Délivre-nous, Seigneur,
Par le mystère de la sainte incarnation,
Par ta venue en ce monde,
Par ta naissance et ton épiphanie,
Par ton baptême et ton jeûne au désert,
Par ta croix et ta passion,
Par ta mort et ta mise au tombeau,
Par ta résurrection du séjour des morts,
Par ton admirable ascension,
Par la venue du Saint-Esprit consolateur,
Au jour du jugement.
Quatre jours plus tard, harassées, couvertes de poussière, dévorées
par la faim, Aubeline et Bérarde intercédaient également à leur façon auprès de
Dieu. Elles n’avaient jamais manqué de s’arrêter dans les chapelles et les
églises. Celle de Trets était pleine d’ombres et de chuchotements. Le village
épargné par le traité félon appartenait toujours à la comtesse des Baux et au
premier de ses fils Hugon. Il abritait une nombreuse et pieuse population de
charbonniers et de paysans. On y piochait de quoi alimenter toutes les forges
de la région et on y récoltait le meilleur blé de Provence. Aussi venait-on à
tout bout de champ remercier les saints de tant de largesses et demander plus
encore. Aubeline et Bérarde se contentèrent de demander protection au Christ, l’une
d’une voix ferme et sans faille, l’autre de ses mains habiles à tracer les mots
dans l’espace.
— Dieu éternel et tout-puissant, Tu es la lumière de
toutes les lumières, et le jour qui ne finit pas ; dès le matin de ce jour
nouveau, nous Te prions : que la clarté de Ta présence, en chassant la
nuit du péché, illumine nos cœurs. Maintiens-nous en vie jusqu’à Signes afin
que nous puissions faire triompher Ton droit et Ta juste cause auprès des dames
de la cour d’amour. À Toi, le règne. À Toi, la puissance et la gloire. Pour les
siècles des siècles ! Amen.
Ce n’était pas le matin, mais plus d’une heure de l’après-midi.
Bérarde n’attendit pas de quitter la maison du Seigneur pour manifester sa
fringale.
— On y va, répondit Aubeline.
Elles avaient laissé leurs chevaux à l’écurie de l’auberge
du Cochon-d’Argent. Trets possédait plusieurs auberges et tavernes, mais celle
du Cochon-d’Argent était de loin la plus renommée. Le cochon peint en gris
brillant pendait entre ses deux chaînes au-dessus de l’entrée d’où s’échappaient
de suaves odeurs de cuisine.
Elles entrèrent en faisant un boucan du diable. Ecus, épées,
lances, haches et sacs empêtraient leurs mouvements. Leur apparition provoqua
la stupeur des hommes attablés, pour la plupart des marchands en route pour la
grande foire de Saint-Maximin. Il y avait aussi quelques soldats du cru et des
notables. Il était rare de voir des femmes en tenue de chevalier. Ils n’aimaient
guère cela. Les femmes devaient porter robes et jupons, être faciles à trousser.
Elles s’installèrent à l’écart avec leur barda. Une jeune
servante à la poitrine mise en valeur par un corsage délacé les aborda aussitôt.
— Bonjour, demoiselles, dit-elle en les détaillant.
— Bonjour, répondit Aubeline en posant son épée sur la
table.
— Vous voilà bien armées. De mauvais garçons en
voudraient-ils à votre honneur ?
— Non, nous revenons de Camargue où la guerre des Baux
vient de s’achever.
Les oreilles se tendirent. La défaite de Stéphanie des Baux
et de ses alliés était déjà parvenue dans la région, mais c’était la première
fois que des témoins de la bataille arrivaient à Trets.
— Il paraît que ce fut un grand massacre, dit la
servante.
— Ce le fut, en effet, mais sainte Marie Madeleine nous
a aidées à survivre.
Au nom de la sainte de la montagne sacrée, tous comprirent
que ces deux femmes appartenaient au fief de Signes et défendaient les intérêts
de Bertrane et de la cour d’amour.
— Voulez-vous une bonne portion de porc aux lentilles
et du vin d’Aix ? demanda la servante.
— Ce sera parfait.
Quelques minutes plus tard, Bérarde trempait ses doigts dans
la sauce grasse, tranchait la viande de ses longues dents, lampait le vin épais.
Aubeline mangeait plus lentement, enfournant la cuillère de bois dans sa bouche
et mâchant longuement les lentilles épicées. De l’autre main, elle
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