La Fille Du Templier
Dieu lui pardonne – se conformaient aux rituels des pèlerinages
les plus stricts, se nourrissant de pain, d’olives et de fromage, buvant l’eau
des sources, campant à l’air libre avec tous les pouilleux venant d’une grande
ville du Nord appelée Calais. Il n’avait pas échappé à ce régime de mendiant et
rêvait des quatre cruchons de vin que sa panse réclamait journellement.
Il jeta le sac contenant les armes sur son épaule et suivit
les deux illuminées. En ces temps de pèlerinage et de guerre sainte, toutes les
églises restaient ouvertes jour et nuit, et sans cesse des ombres furtives se
pressaient contre les flancs des maisons de Dieu. Guillaume les redoutait. Il n’y
avait pas que des pauvres en demande de paradis allant et venant sous les
porches, mais également des brigands et des voleurs.
Guillaume avait l’œil. Des femmes aux poitrines dénudées se
vendaient pour quelques piécettes de cuivre. Il vit briller des regards, de la
sueur entre les seins pétris par des mains. Un manant à la bouche bée se
laissait aller sur un ventre blanc, un autre savourait sa délivrance entre les
lèvres d’une jeune catin aux cheveux longs et frisés. Cette dernière s’essuya
aussitôt la bouche et tourna son visage vers le chapelain. Guillaume eut une
moue de dégoût quand elle l’invita d’un geste lascif en remontant sa jupe sur
ses jambes maigres.
— Chienne, dit-il, tu pourriras en enfer !
— Guillaume ! intervint Bertrane. Honte à toi !
N’es-tu pas sur terre pour sauver les âmes ? Cette jeune fille mérite
notre compassion ; nous en recevons beaucoup qui lui ressemblent à la cour
d’amour, toutes sont à la recherche d’une vie meilleure. Au nom de
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui sauva l’âme de Marie Madeleine, bénis-la.
Guillaume grimaça. Quelque chose en lui s’opposait à cette
demande. Il voulait se précipiter dans l’église où s’étaient succédé les
cassianites et les bénédictins. Son instinct grégaire le poussait à mettre le
plus de distance possible entre la putain et lui. En lui s’ancrait une
conviction solide : les femmes étaient des créatures du diable.
Bertrane l’arrêta de la main. Stéphanie montra son mépris. Il
tenta de se justifier :
— Comtesses, nous vivons dans un temps maudit. Nous
avons délivré Jérusalem pour rien. L’Antéchrist est parmi nous. Satan nous
éprouve. Mille tentations sont offertes aux hommes de ce temps. Jamais la Bête ne me séduira ; jamais je ne me compromettrai. Ne vous en déplaise, je ne bénirai
pas cette pécheresse.
— Pour l’amour du Christ, Guillaume ! Pour l’amour
du Christ qui est mort pour nous sauver ! fit Stéphanie. Fais ce que te
demande la dame de Signes.
Guillaume se rembrunit. S’il ne s’exécutait pas, il cédait
au péché d’orgueil. Jésus était l’exemple. Il contempla d’un œil désabusé la
jeune mécréante et, au bout du compte, ébaucha un signe de croix en murmurant
les paroles sacrées.
— C’est bien, dit Bertrane alors que Stéphanie glissait
un marc d’argent dans la main de la fille.
C’était fait. Guillaume, déchargé de ce fardeau, pouvait
franchir le seuil de l’édifice, ce qu’il fit avec empressement. Quand il se
retrouva dans la pénombre de la nef trapue, face au bénitier, il se mouilla
trois fois le front, les épaules et la poitrine avec l’eau pure avant de se
laisser tomber à genoux sur les pierres froides.
L’église était bondée. Les pèlerins francs et d’autres venus
du Cantal et de Bourgogne l’avaient envahie, en quête de sommeil, mais là aussi
le mistral régnait en maître. Il s’engouffrait par les vitraux cassés, passait
sur les nuques des statues, soufflait les bougies, emportait la litanie
adressée à sainte Madeleine par une poignée de fidèles en extase devant son
buste de bois. Les paroles s’envolaient :
Seigneur, prends pitié de nous
O Christ, prends pitié de nous
Trinité sainte, Mère de Dieu, priez pour nous
Sainte Marie Madeleine,
Portant le vase d’albâtre, plein de parfum
Arrosant de tes larmes les pieds de Jésus…
Stéphanie et Bertrane se frayèrent un chemin au milieu des
corps allongés et rejoignirent le petit groupe en éveil. Elles n’aperçurent pas
l’inquiétante présence d’un homme assis dans l’ombre d’une chapelle. Il
écoutait, un sourire au coin des lèvres, ces idiots en quête de vie éternelle
auprès du trône de Dieu.
Les
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