La Fille Du Templier
fière allure et
l’un d’eux se montrait particulièrement agressif. Il tendit le poing.
— Bâtard, descends donc ! On crève de faim ! On
va te manger le cœur et le foie !
— Vous voulez mourir empoisonnés ? ironisa Hugon.
— Qui est le drôle qui t’accompagne ? Tu n’es qu’une
larve, Odet ! Ta mère était une putain qui traînait derrière les armées et
les arrière-cours des tavernes…
Alors que le détenu aboyait tel un chien enragé, Hugon
demanda au Bâtard de les libérer tous.
— Tu n’y penses pas ! Certains n’ont même plus l’usage
de leurs jambes.
— Et ces quatre-là ?
— Ils sont enfermés depuis cinq jours. On les a surpris
près des fermes d’Ollières qu’ils venaient de piller. Ce sont des croisés
français en rupture de ban ; il y a bien longtemps qu’ils ont abandonné l’armée
du roi Louis et l’idée de se battre contre l’Islam. Leur chef que tu entends
gueuler est un Champenois du nom d’Isembart le Droit, mais c’est l’un des plus
tordus que je ferai pendre depuis que j’ai pris ma charge à Trets. Rien qu’à
Ollières, il a poignardé cinq jouvencelles après les avoir violées. Cette
crapule est un descendant du marquis de Neustrie, Thibault le Tricheur, c’est
dire s’il a la rouerie dans le sang. Être pendu et dévoré par les corbeaux, c’est
tout ce qu’il mérite !
— Tu ne le pendras point. Fais sortir tous les hommes
capables de tenir une épée et exécute les autres.
Hugon s’éloigna. Aussitôt le geôlier appela un aide armé de
pinces, d’un burin et d’une masse. On installa une échelle et un à un les
détenus en état de se mouvoir furent libérés de leurs fers.
Le Bâtard n’attendit pas que le geôlier donnât le coup de
grâce, mais en remontant à la surface, il entendit le choc sourd de la masse
sur un crâne.
Hugon observait le couchant du haut des remparts ouest quand
les prisonniers, sales, couverts de haillons, les ongles noirs, les cheveux et
la barbe pareils à des broussailles grouillantes de poux, sortirent en titubant,
s’agrippant les uns aux autres dans la lumière aveuglante. Seuls Isembart et
ses trois compères se déplaçaient sans trébucher. Eux ne croyaient pas au
bonheur d’être de nouveau sous ce ciel de liberté lavé par le mistral. Ils
cherchèrent en vain le gibet, le billot de bois sur lequel les condamnés
posaient la tête, le bourreau cagoulé de noir ou de rouge. Ils finirent par
apercevoir le seigneur des Baux qui les dominait. Hugon prit son temps pour descendre
et les inspecter un à un.
— Nous allons passer un marché, dit Hugon en les
toisant.
Ce fut à cet instant que les Champenois reconnurent la
célèbre étoile des Baux sur le bliaud du Provençal.
— Oui, je suis Hugon des Baux, fils aîné de Stéphanie des
Baux, seigneur de Trets. Vous quatre, continua-t-il en désignant les Champenois.
Toi, toi et toi, ajouta-t-il en pointant du doigt trois autres gaillards que la
détention n’avait pas trop affaiblis, suivez-moi !
Qu’est-ce que je fais des autres ? demanda le Bâtard.
Qu’ils servent à l’entraînement de tes archers, laissa
tomber laconiquement le seigneur.
La paire restante fut aussitôt plaquée contre les montants d’une
charrette. On entrava les pieds et les mains des pauvres bougres qui ne se
rebellèrent même pas. Sur l’ordre d’un sergent, une douzaine d’archers s’alignèrent
et percèrent les corps de traits.
— Il y aura toujours une flèche pour vous rattraper, dit
Hugon en se moquant des hommes épargnés qui frissonnèrent en lui emboîtant le
pas.
Il les emmena dans les écuries, fit briller quelques marcs d’argent
et leur expliqua qu’il s’agissait d’éliminer des espions à la solde des
Catalans. Il fut bref, donna une description des trois pèlerins en route pour la Sainte-Baume et conclut :
— Le Bâtard vous conduira.
11
Les deux cavalières avaient fait un large détour. Aubeline
estimait que la route de Saint-Zacharie, Tourves, Brignoles était la plus sûre.
À Fuveau, elles avaient appris que Stéphanie, Bertrane et le chapelain
Guillaume avaient emprunté le chemin de Rougiers en refusant toute escorte. Les
trois pèlerins avaient l’intention de prier dans l’église de Saint-Maximin, où
l’on supposait que se trouvaient les restes de sainte Marie Madeleine, avant de
grimper vers la grotte de la Sainte-Baume. Avec un peu de chance, Aubeline et Bérarde les
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