La Fille Du Templier
creusèrent
un trou, le remplirent de bois sec avant de se servir des pierres île silex et
du briquet de fer pour enflammer un morceau d’amadou. Mettre le feu par
imprudence à la garrigue aurait été un crime impardonnable, d’autant plus qu’elles
venaient d’atteindre la région sacrée où Marie Madeleine avait vécu avec les
anges.
Le lièvre promettait d’être succulent, gras à souhait, parfumé
au thym. Le pain leur paraîtrait moins dur quand elles le mâcheraient en
déchirant les cuisses de l’animal de leurs dents.
— Et si je vous proposais du vin, m’inviteriez-vous à
partager votre repas, jolies truandes ?
Aubeline fit un bond. Bérarde roula sur elle-même. La
première avait dégainé son poignard ; la seconde brandissait sa hache. Elles
se détendirent légèrement en découvrant le moine blanc. Un moine guerrier de la Sainte-Baume. Il n’avait pas d’arme à la main. Son tinel, sorte de longue massue des
Cévennes, était retenu par une sangle sur son dos.
— Par Jésus ! Je ne viens pas vous détrousser. Et
ce serait malvenu avec des gaillardes telles que vous.
Devant la mine déconfite du moine, elles éclatèrent de rire.
— Prends donc place à nos côtés et régale-nous de ton
vin.
Le religieux aux traits anguleux taillés à coups de serpe, épaules
carrées et larges pieds dans de solides sandales de Barjols, avait un œil plus
haut que l’autre.
Il se servait du droit pour lorgner comme si le gauche était
aveugle. Il dénoua sa biasse et en sortit une miche dorée.
— Elle est fraîche, elle a été cuite ce matin au
monastère.
— C’est un cadeau du ciel, le remercia Aubeline en
pensant à ses gencives écorchées par la dureté du pain militaire qu’elles
trimbalaient dans leurs fontes depuis la Camargue.
Une outre à moitié pleine pendait à la hanche du moine. Il
la passa à Aubeline. Le vin était râpeux, du genre à faire des trous dans l’estomac.
Bérarde en but plus d’une demi-pinte et le moine également. Il leur délia la
langue.
— Je m’appelle Mayeul, dit le moine. J’assure la
surveillance des chemins menant à la Sainte-Baume et à l’occasion je ferre les chevaux. Vous êtes de Signes ou de Pierrefeu ?
La question était logique. Des femmes armées ne pouvaient qu’appartenir
à l’un de ces deux fiefs provençaux où régnaient les cours d’amour.
— De Signes. Voici Bérarde la Burgonde, elle a perdu la langue en Terre sainte, et je suis la fille d’Othon d’Aups, Aubeline.
— Othon le templier ! Quel honneur ! On dit
que ton père a la force de Roland et qu’à lui seul il a tenu tête à deux cents
infidèles à la Porte de Fer sur la route d’Antioche, que lui et cinquante
autres templiers ont mis en déroute une armée venue de Bagdad et qu’il a sauvé
la vie du roi Louis.
Aubeline ne le démentit pas. La légende courant sur son père
s’amplifiait, s’enrichissait de jour en jour d’exploits imaginaires. Chacun
racontait la sienne, chacun se mettait en valeur en embellissant les faits et
gestes des croisés. Des histoires incroyables circulaient à propos de tel ou
tel prince, comte ou chevalier, et comme pour donner plus de poids à la gloire
de ces chrétiens se battant pour le Christ, les reliques des saints
commençaient à affluer en Europe.
— On relate beaucoup de choses dignes des plus grands
chevaliers de l’Histoire et j’en suis honorée, répondit Aubeline. C’est pour
cette raison que j’ai ajouté la croix rouge templière sur les armes de notre
maison.
— Mais bien sûr ! La fille du templier et la Burgonde qui ont tué la Bête de la Sainte-Baume avant de rejoindre l’armée de Stéphanie des
Baux avec notre protectrice Bertrane de Signes… Ah, soupira-t-il, quel désastre
pour la Provence, cette défaite face au tyran de Barcelone. Notre beau pays va
sombrer dans la misère, nous craignons la poursuite de cette guerre et l’anéantissement
de tous les fiefs situés entre le Rhône et Toulon.
— La paix a été signée, remarqua Bérarde, traduite par
Aubeline.
— Par la seule Stéphanie. Pas par son fils Hugon… L’évêque
de Marseille nous a conseillé de renforcer toutes les abbayes et tous les
couvents, et d’engager des hommes. L’insécurité règne déjà. Des hameaux ont été
pillés et des fermes brûlées ces dernières semaines. Les voyages deviennent
dangereux. Pas plus tard que ce matin à l’aube, j’ai aperçu huit cavaliers de
la
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