La Fille Du Templier
santé, chevaliers !
Eux se reconnurent aussitôt en lui. C’était le seigneur dont
ils avaient entendu parler à Montbard. Ils n’avaient pas une bonne opinion des
hommes du Sud, mais celui-ci était différent. Un grand prédateur. Ils s’ébranlèrent
et n’eurent aucune peine à s’asseoir. Il y eut une envolée de moineaux. Des
bancs se libérèrent, des servantes apportèrent cruchons, pain, jambon et
fromage.
— On dit que tu cherches à enrôler ? demanda un
chevalier en s’installant face à Hugon.
Le comte des Baux le jaugea. L’inconnu portait une
barbichette lustrée qui allongeait singulièrement sa face étroite de renard. La
joue droite avait été autrefois trouée et mal recousue. Il y avait là une
dépression. Elle déformait l’extrémité des lèvres en les étirant. Le bliaud
taillé dans une bonne et solide étoffe brune était décoré d’une rose noire sur
un écu jaune. Une longue épée à la fusée marquée d’un croissant de lune et d’une
suite de triangles pointés vers le quillon pendait à même la ceinture, nue, sans
la protection d’un fourreau.
Hugon vit dans cet homme sec chez qui les nerfs et la tête
dominaient les muscles et le cœur une recrue de choix. Il correspondait à l’élu
de ses noirs desseins.
— Je cherche et je paie bien, répondit le seigneur des
Baux.
Un sourire déforma un peu plus la bouche du chevalier à la
rose qui avait son idée sur la question.
— En deniers melgoriens ou en solidus ?
— En solidus d’or frappés à l’effigie de Manuel I er ,
empereur de Byzance.
Il y eut des grognements de satisfaction. Les chevaliers
montraient leur âpreté au gain. Le solidus exerçait sur leur esprit une
fascination quasi religieuse.
— Je m’appelle Liénard d’Ouches, mais on me surnomme
Liénard le Batailleur, dit l’homme à la face de renard, et tu as devant toi la
fine fleur de la chevalerie française.
Il présenta ses compagnons : Conan de Montfort, Othe d’Auxerre,
l’excommunié, Gilbert de Bouville, Etienne de Borron, le voyageur, Robert de
Béthune, Bonneval du Pont et Beraud le Lion.
— Je vois, siffla Hugon.
— Alors, mon beau seigneur, qui faut-il envoyer en
enfer ?
Hugon s’accouda et ils burent ses paroles.
Bertrane fit couler entre ses seins les larmes huileuses d’un
parfum d’Orient acheté à prix d’or aux colporteurs de Marseille. Le liquide
couleur de miel embauma l’air d’une odeur musquée et épicée. Une chaleur monta
à sa poitrine ; il lui semblait que la fragrance remplissait la vacuité de
son corps d’une force nouvelle. Puis elle passa une robe dont la légèreté
laissait voir ses formes par transparence. C’était… trop osé. Alix de Dardanus
qui, sur les conseils d’Aubeline d’Aups, veillait sur la comtesse en permanence
tout en l’assistant du lever au coucher en fit la remarque :
— Tu ne vas pas te rendre ainsi à Château-Vieux ?
Bertrane hésita. Elle pensa à la tenue de Marie Madeleine
lors de sa rencontre avec Jésus. Celle qui allait être élevée au rang de sainte
était-elle habillée autrement ? La comparaison était hardie car Marie
Madeleine n’avait pas tenté de séduire le Christ. Lors d’une conversation, Jausserande
lui avait ouvert les yeux. Les paroles de la jeune courtisane s’imposèrent à
elle : « Tu n’as jamais rien fait pour conquérir ton époux. Comment
crois-tu que les hommes nous préfèrent : en habit de nonne ou en princesse
orientale ? Ce n’est pas saint Paul que je sache, ce seigneur-là ! Il
faut lui faire au moins comprendre que le fief doit avoir un héritier. Tiens, je
vais te prêter ma robe d’Antioche et nous verrons s’il ne tombe pas à genoux
devant toi. »
C’était cette fameuse robe tissée par les doigts habiles des
Persanes, coupée et cousue par le meilleur couturier d’Antioche, qui l’habillait
d’un nuage.
— Je la garde, répondit vivement Bertrane. Au lieu de
ruminer des pensées interdites à mon égard, tu ferais mieux de me passer le
joli vêtement de ma mère.
Alix s’exécuta de bonne grâce. Ce que la dame appelait ainsi
était un caraco brodé rapporté de Palestine par son père, le comte Guy de
Solliès.
Elle l’enfila. Il cacha en partie les lignes fluides de la
robe, rassurant un peu Alix.
Bertrane était prête. Mais prête à quoi au juste ? Elle
s’en fut sur son cheval blanc sur le chemin de Château-Vieux, escortée par
Aubeline et Bérarde qui la
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