La Fille Du Templier
Jean abandonna la lance et prit l’épée.
— Bon courage, Jean ! La renommée vole ! lui
lança Michel en poussant sa monture écumante dans la mêlée.
Et elle volait entre leurs mains. Le fléau du Souffleur
fracassait des têtes et des membres, l’épée du Signois prenait des vies. Les
féaux français et provençaux taillaient en pièces les soldats d’Allah qui
essayaient d’échapper à cette mâchoire. Au cœur du combat, la bannière royale
et l’étendard impérial se frayaient un chemin jusqu’aux drapeaux musulmans. Quand
les mollahs tombèrent et que leurs têtes tranchées apparurent au bout de
longues piques, l’élite d’Umūr plia et tourna les talons. Une ovation
stridente salua cette retraite folle. On vit des Turcs se piétiner, jeter leurs
armes. Par essaims entiers, ils fuyaient vers Damas.
Les templiers avaient attendu ce moment. Leur formidable
charge sur la route provoqua la mort d’au moins mille musulmans. Othon voulait
être le premier à entrer dans la capitale. Il la revendiquerait au nom du
Temple.
— Tue ! Tue ! Tue ! criaient les barons.
Ils avaient l’avantage. Ils pouvaient faire tomber le
royaume de Syrie et porter un coup fatal à l’Islam. Après, il y aurait Bagdad, puis
Téhéran, Le Caire et La Mecque.
— Tue ! Tue ! Tue ! Pour l’amour du
Christ !
Ils tuaient. Michel tuait. Othon tuait. Le roi Louis tuait. Jean
tuait. Le sang poissait les poitrails des montures. Le sang coulait le long des
épées, des angons et des framées. Jean vit le chevalier du Castelet qui avait
récité le poème disparaître sous une meute ennemie. Il s’élança à son secours, fendant
l’air de son épée flamboyante, décapita un Turc, éventra un officier. En vain… Le
chevalier troubadour était déjà mort ; son casque à nasal et sa cagoule de
mailles arrachés laissaient à nu le visage blême aux yeux crevés. Jean entendit
alors les trompettes royales demandant le regroupement pour la charge finale, mais
il était difficile de quitter la cohue où des Turcs encerclés se battaient avec
l’énergie du désespoir. Au loin, Umūr et quinze mille hommes gagnaient les
faubourgs de Damas. Jean, Michel, cent chevaliers et trois cents fantassins se
dégagèrent et suivirent le comte du Perche et le duc de Souabe qui avaient l’intention
de se joindre aux templiers.
Les chevaux se remirent au galop. La terre trembla de
nouveau. Sous son heaume, Jean avait le visage en feu. Ses yeux fiévreux
entrevoyaient à peine le monde extérieur ; son cœur cognait contre la
cuirie. Les mailles de la cotte, le fer des protections mettaient ses chairs à
vif.
— L’émir nous échappe ! Il va s’enfermer dans sa
ville ! dit le comte Robert. Plus vite ! Plus vite, mes amis !
Ça se gâtait, décidément. Les templiers étaient bloqués par
une arrière-garde. La bataille menaçait de finir en siège. Au-delà des
faubourgs, de hauts murs crénelés protégeaient Damas.
— Pour le Christ ! cria Robert en s’emparant de l’oriflamme
à la croix rouge entourée de feuilles d’olivier.
— En enfer les païens ! ajouta le duc Welf.
Il y eut une poussée ; les chevaux semblaient voler au
ras du sol. Une cinquantaine de Turcs restés en arrière furent broyés. La
jonction entre les croisés et les templiers était enfin établie, mais la charge
buta sur les maisons flanquant des ruelles et des impasses. Il y avait là
quelques centaines de soldats de l’islam menés par le gouverneur d’Urfa. Une
volée de javelots accueillit les attaquants.
— Pied à terre ! ordonna Othon d’Aups à ses
chevaliers.
On les imita. Dans le dédale de ce quartier bâti de façon
empirique, les chevaux étaient un handicap. Jean se retrouva au milieu des
moines guerriers qui ne redoutaient pas la mort. Il avança avec eux dans la
mare de sang, marchant sur les cadavres et les blessés. Tous les coups reçus le
requinquaient ; les soldats ne sentaient rien, la douleur n’existait plus.
Ils perdaient des morceaux de leur corps mais l’ivresse du combat faisait d’eux
des surhommes.
Jean vit soudain un fléau mordre la face barbue d’un
musulman. Michel le Souffleur était à nouveau près de lui. Côte à côte, coincés
dans un périmètre de fer, les deux chevaliers se battirent avec bravoure. Sous
la protection des écus en amande, ils écartèrent les nombreuses javelines
dardées sur leurs poitrines. De toutes parts, les épées courbes retombaient
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