La Fille Du Templier
Aussi, prie pour ton âme et aiguise ton
épée.
À cet instant, venant de la route du levant, les templiers
au nombre de deux cents déboulèrent. Ils allaient deux par deux, suivis de
leurs écuyers. Othon d’Aups les menait. Jean alla à la rencontre de son ami.
— Alors ?
— Alors rien, répondit Othon. Les Turcs ont disparu. C’est
peut-être un piège mais la route de Damas nous est ouverte. Ils nous livreront
bataille à leur gré, au moment et à l’endroit de leur choix.
Jean avait prié. L’épée était aiguisée, glissée dans le
fourreau de cuir qui battait le flanc de sa monture. Le monde qu’il percevait à
travers les fentes de son heaume était différent. Étrange casque, nouvellement
inventé, dont il était très fier. Lorsqu’on coiffait cette cloche de fer qui
descendait sous le menton et serrait la tête de toutes parts, un vertige vous
prenait. La vision et l’ouïe s’amenuisaient, mais d’autres sens se
développaient, l’odeur du métal décuplant l’instinct puissant de la guerre.
Ils étaient dix mille à se tenir face à l’immuable aridité
du paysage. Quelque part derrière les crêtes pierreuses s’étalaient Damas la Blanche et l’armée de Muīn-āl-Dīn Umūr forte de trente mille guerriers. Le
nombre des Turcs n’effrayait pas Jean. À l’idée de se battre à un contre trois,
il éprouvait une sorte de jouissance. Il n’était pas le seul. Ses hommes, ceux
de Michel le Souffleur, retenaient leur envie d’éperonner leurs chevaux afin d’être
les premiers à rencontrer l’infidèle. Les templiers à la droite du roi ne
partageaient pas l’excitation générale. Ils formaient un bloc noir et blanc d’où
montait une caverneuse prière. Une heure auparavant, Othon avait fait part de
ses réserves à Jean : « Les Turcs sont sur leur terrain et ne craignent
pas la chaleur et la soif. »
Soudain, un écuyer du Castelet et un chevalier de Senlis
entamèrent le poème de Guillaume IX d’Aquitaine, cher au cœur de toute la
chevalerie chrétienne.
Bientôt m’en irai en exil
En grande peur, en grand péril ;
En guerre laisserai mon fils
Et mal lui feront ses voisins.
En prouesse et en joie je fus
Mais je les quitte l’une et l’autre
Et je m’en irai vers Celui
Où tout pécheur trouve la paix.
Bien ai été joyeux et gai,
Mais Notre-Seigneur ne le veut plus,
Et plus n’en puis souffrir le faix
Tant je m’approche de ma fin.
J’ai tout laissé ce que j’aimais
Et orgueil et chevalerie
Puisqu’il plaît à Dieu, j’accepte tout
Et prie qu’Il me retienne à Lui.
Othon ferma les yeux. Son cœur chavirait. Il pensait à sa
fille Aubeline qu’il avait laissée en guerre et au mal que lui feraient ses
voisins. Il était trop tard pour les regrets. Beaucoup regardèrent les cieux. Là-haut
étaient le meilleur, le délicat et le plus beau. Là-haut, on flottait panse en
l’air sur la surface des nuages, et l’ambroisie coulait des rayons des étoiles
dans votre gosier. Là-haut, on montait des chevaux ailés et les anges
tressaient des guirlandes fleuries autour des lances d’or. Là-haut, dans l’éternité
des siècles, les sept péchés capitaux, les secrets et les maladies n’avaient
plus leur place ; on vivait dans l’adoration de Dieu et on chantait des
louanges à la Vierge.
Chacun avait sa vision du paradis. Jean ne pouvait imaginer
la sienne sous ce ciel nu et redoutable parcouru par les vents brûlants. Un galop
rapide interrompit les deux poètes chevaliers. Un cavalier arrivait. Il filait
droit vers le centre de l’armée, brisant les branches desséchées des arbustes. Jean
se dressa sur ses étriers pour reconnaître celui qui éperonnait sa monture. Un
Français.
— Ils viennent ! Ils viennent ! cria-t-il en
rejoignant la forêt des oriflammes et des drapeaux où se tenaient le roi Louis VII,
l’empereur Conrad III, le comte Henri de Champagne, le comte Robert du
Perche, Frédéric de Souabe, le duc Welf, l’évêque Othon de Freising, le comte
de Toulouse Alphonse-Jourdain et cent autres barons de moindre importance
étincelants dans leurs armures.
Peu après, des officiers bannerets s’éparpillèrent le long
de la ligne du front. L’un d’eux arriva, porteur de l’ordre royal.
— L’infidèle est à mille trois cents pas, derrière la
crête que vous apercevez au sud-est. Nous devons la prendre avant lui. Sire
Michel, joue de l’olifant.
Michel s’empara de la corne
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