La Fille Du Templier
main,
en compagnie d’Aubeline et de Bérarde. Elles furent les premières à atteindre
le pré Orémus ; les premières à reconnaître les corps.
— Cherche des indices, dit Aubeline à Bérarde en
suivant des traces suspectes.
La géante ferma les yeux et s’employa à décrypter les odeurs
apportées par le vent. Bertrane arriva à son tour. L’horreur se peignit sur son
visage. Au centre d’un cercle de défenseurs aux plaies grandes ouvertes, Hermissende,
la dame de Posquières, et deux de ses compagnes gisaient sur une souche.
— Hermissende ! s’écria Alalète.
Ce cri provoqua pleurs et gémissements. Les femmes s’empressèrent
autour des victimes, s’agenouillant, guettant des souffles, se signant, puis
laissant le médecin de Bertrand faire son constat. Delphine eut les mêmes
gestes que le praticien. Elle les toucha, releva les têtes, écouta les cœurs, puis
elle se redressa, droite et sévère dans ses jupes.
— Elles appartiennent à Dieu à présent, dit-elle à
Bertrane sur qui pesaient désormais toutes les responsabilités.
Dans cette affaire, on attendait peu de chose de Bertrand, à
part de belles messes. Bertrane croisa le regard de son époux. Il était déjà en
prière avec frère Guillaume, fermé à toute discussion sur le sujet. Qui avait
osé ôter la vie d’une dame de la cour d’amour ? La sage Hermissende n’avait
pas d’ennemis, aucun intérêt dans les successions de Provence ; elle n’appartenait
à aucun des clans féodaux qui, de Dignes à Cassis, se livraient à des guerres
larvées depuis l’éclatement des royaumes wisigoth et burgonde. Bertrane pensa
au seigneur de Trets. Il fallait que ce soit un seigneur ; le coup avait
été bien préparé. Douze soldats et six valets accompagnaient la dame de
Posquières qui revenait de sa visite à Auriol où vivait son demi-frère le
vicomte Gautier. Apparemment, ils avaient été pris par surprise et n’avaient
guère résisté. Il y avait çà et là des traces profondes de sabots. Les
fantassins avaient presque tous été blessés par flèches avant de périr sous la
charge finale. Stéphanie et Aubeline les examinaient quand Bérarde réapparut
sur le pré Orémus. Bertrane se joignit aux trois femmes.
— Des chevaliers lourdement armés, fit la géante.
Aubeline traduisit.
— Nombreux ? demanda la comtesse des Baux.
— Cinq, six, sept peut-être. Mais ils n’étaient pas
seuls. Au moins vingt hommes armés d’arcs et de javelines ont tendu une
embuscade un peu plus haut au moment où la dame et les siens se reposaient. L’attaque
les a fait fuir jusqu’ici où ils ont tenté de s’opposer à leurs agresseurs.
Elles eurent toutes trois la vision du guet-apens, des
sifflements soudains des flèches, de la fuite éperdue, des cavaliers hurlants, de
la courageuse Hermissende rameutant ses gens et des quatre lances qui l’avaient
frappée à la poitrine. On avait dépouillé la dame et deux demoiselles d’honneur
de leurs bijoux mais on n’avait pas pris la peine de récupérer les armes des
gardes.
— Crois-tu qu’il y ait eu des blessés chez les
attaquants ? demanda Bertrane.
— Oui, il y a des traces de sang sur le chemin, répondit
Bérarde.
— Alors prenez autant d’hommes qu’il faudra et ramenez-nous
ces charognes ! s’exclama Stéphanie.
— Ils sont déjà sur le versant nord de la Sainte-Baume, hors de notre juridiction, intervint Bertrand de Signes qui voyait poindre les
pires ennuis.
L’agitation des dames l’avait tiré de ses prières. Il ne désirait
pas entreprendre une opération risquée vers Trets ou Aix.
— Le comte a raison, dit Aubeline. Nous allons pister
ces assassins, mettre un nom sur leurs visages, remonter jusqu’à leur
commanditaire et rapporter au moins la tête de leur chef.
— Nous ? Qui nous ? s’étonna la comtesse de
Dye.
— Moi et Bérarde.
— C’est de la folie, s’interposa Bertrane.
— Non, elles peuvent réussir à condition d’emmener Inna
avec elles, avança Delphine de Dye.
— Inna la sorcière de Signes la Noire ! Tu ne penses pas réellement ce que tu proposes ?
— Je suis sérieuse. Inna est la plus forte des
lavandières de la nuit. Elle ira les chercher en enfer. Inna ! cria-t-elle.
La troupe tétanisée par la peur vit apparaître la chose, le
buisson couvert de haillons noirs. Une odeur pestilentielle accompagna l’arrivée
de la sorcière dont le visage ressemblait à l’écorce
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