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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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as-tu trop œuvré pour notre
cause ? L’enthousiasme s’éteint quand on manque soi-même d’amour.
    Delphine marqua un temps d’arrêt. L’ovale du visage de
Bertrane ne s’altérait pas. Nul tressaillement n’agita le lait de cette peau. Pas
une larme ne perla. Le noir de l’œil garda son mystère de pierre magique. Pourtant
la comtesse de Dye savait qu’elle touchait au but. Elle était prête à suer sang
et eau pour défaire cette merveilleuse figure.
    — Je ne manque de rien, répliqua Bertrane.
    — Alors comment se fait-il que ton ventre ne se soit
jamais arrondi ?
    — Bertrand est vieux.
    — Hum… Et tu vieillis à ton tour. Il faut de l’expérience
et de la grandeur pour diriger notre cour.
    Bertrane sentit monter l’émotion. Si elle ne réagissait pas,
Delphine allait prendre le dessus et lui faire avouer le secret de sa virginité,
secret qui faisait l’objet de mille ragots mais que personne n’avait jamais
percé, pas même son confesseur. De l’expérience, elle en avait à travers les
autres. Elle avait fait de longues et courageuses randonnées dans les cœurs de
ses confidentes et de ses demoiselles d’honneur. Du sexe, elle connaissait tout ;
elle ne blâmait même pas la luxure. Elle riposta.
    — Après tant d’années à la cour, Delphine, j’ai passé
le temps de l’innocence, ne crois-tu pas ? Et mon expérience vaut bien
celle d’une Messaline. Quant à la grandeur, elle peut très vite paraître une
exagération de l’être qui fait naître immédiatement en moi l’idée de vide. Je n’ai
rien d’une grenouille exagérément gonflée à la saison des amours ; je n’ai
rien non plus d’une fille sage et rangée ; il faut de l’humilité pour bien
servir notre cause, de la fraternité aussi. Les as-tu, toi qui rêves de me
remplacer ? Où est ta lumière ? À Signes la Noire parmi les proscrites qui psalmodient des incantations aux forces des ténèbres au centre
des neuf cercles ? En te regardant, je ne vois qu’une femme de
soixante-dix ans aigrie par trois mariages, des fausses couches et la perte de
deux fils aux croisades.
    Bertrane était lancée. Elle allait même trop loin. Elle
déballait, crachait sa bile. Nul n’aurait pu la reconnaître. En quelques
vérités durement assénées, elle fit pâlir la comtesse de Dye. Delphine en était
abasourdie. Des rides s’ajoutaient aux rides. Partout le fard artistiquement
plaqué par sa servante se fissurait. Des creux laissaient paraître la peau
parcheminée et jaunie. Le regard s’enfonça. Les lèvres se retroussèrent, montrant
les chicots noircis. Elle s’apprêtait à lâcher son fiel quand le cor sonna tout
près.
    Ce n’était pas un chasseur. Ni un messager. Elles
reconnurent l’écuyer du chevalier de la tour de Fontfrège. Le jeune homme lancé
au galop s’époumonait à souffler. Il dévala le chemin des Côtes au risque de se
rompre les os. Sa monture se cabra au pied de la tour où se tenaient Bertrane
et Delphine.
    — Mes dames ! Par le Seigneur ! Il me faut de
l’aide. Un grand malheur vient d’arriver.
    Bertrane ne pouvait croire les paroles de l’écuyer. Aucune
des femmes de la cour, ni même Bertrand de Signes venu en toute hâte de
Château-Vieux, n’y croyait. Il fallait que leurs yeux découvrent ce grand
malheur. On s’était préparé en hâte.
    Aubeline et Bérarde avaient été averties en temps et en
heure car l’écuyer était passé par Meynarguette au moment où la géante revenait
de son rendez-vous galant. Les deux guerrières avaient pris une certaine avance
et surveillaient de loin la progression des Signois. Dames, soldats, chevaliers
en colonne grimpaient le long des flancs de la Taoule. Aubeline et Bérarde se laissèrent rejoindre par la nombreuse troupe sur les terres de
la Salomone où des paysans armés de faux et de fourches vinrent offrir leur
concours.
    Ce fut une véritable petite armée qui arriva sur les lieux
du massacre. Il y avait là un vieil archer qui tentait de repousser les
corbeaux et les chiens errants attirés par l’odeur de la mort. Il faisait des
moulinets avec son arc, mais la pluie de plumes noires et la vague de fourrures
jaunes s’abattaient sans cesse sur les cadavres.
    Bertrane avait la gorge sèche. Son cœur cognait. Ses tempes
bourdonnaient. Elle s’accrochait à la crinière de son cheval. À ses côtés, Jausserande
avait la pâleur d’une statue de marbre. Stéphanie les devança, l’épée à la

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