La Fin de Fausta
exorbités, le front ruisselant, il se raidissait, se mordait les lèvres jusqu’au sang pour étouffer la plainte qu’il sentait monter en lui. Et par un effort d’énergie vraiment admirable, il parvenait à refouler la douleur, il forçait ses doigts meurtris à tenir bon, à ne pas lâcher l’arme qui était son unique chance de salut.
Cette dépense de volonté vraiment extraordinaire, cette vaillance étonnante, ce dédain suprême de la douleur physique, ne lui servirent qu’à prolonger de quelques secondes l’affreux supplice qu’il supportait et à retarder d’autant l’instant fatal de la défaite. Le moment arriva où la chair meurtrie refusa d’obéir à l’esprit indomptable qui ne pliait pas, lui. Les doigts engourdis, broyés, saignants, durent lâcher prise. L’arme tomba. Pardaillan mit le pied dessus et lâcha le jeune homme qui, alors, parla. Pour mieux dire, il cingla de cette voix rauque que Pardaillan avait assez justement comparée au rugissement du tigre en fureur.
– Lâche ! Oh ! misérable lâche !
Sous l’insulte imprévue et imméritée – vraiment, par admiration de la folle bravoure de ce jeune homme, il avait poussé la patience à ses extrêmes limites –, Pardaillan se redressa. Et, hérissé, flamboyant, de sa voix glaciale, il prononça :
– Jeune homme, voici un mot que vous allez…
Il n’acheva pas la phrase. Aussi soudainement qu’il s’était emporté, il se calma. Et le regard pétillant :
– Tiens !… tiens !… fit-il.
Qu’avait-il découvert qui l’ébahissait et l’amusait ainsi ? Ceci :
Jusque-là, le visage du jeune inconnu s’était montré, nous croyons l’avoir dit, la lèvre supérieure ombragée d’une fine moustache noire, le menton orné d’une petite barbiche, noire également, légèrement floconneuse et taillée en pointe. Or, maintenant, sans qu’il y prît garde, cette barbiche pendait au bas de la joue, retenue par quelques poils seulement. Cette barbiche était donc fausse. Elle avait dû être accrochée par quelque ronce, au passage de la haie et, mal collée sans doute, elle s’était à moitié détachée. Quoi qu’il en soit, Pardaillan, dont l’esprit était en éveil, qui cherchait à se rappeler où il avait déjà entendu la voix de ce jeune seigneur, se trouva fixé du coup. Il se découvrit, salua avec cette grâce un peu cavalière qui n’appartenait qu’à lui, et, de sa voix railleuse, s’écria :
– Eh ! quoi, princesse, c’était vous ! La peste soit de moi qui n’ai pas reconnu plus tôt la princesse Fausta sous cet élégant costume de cavalier !
Fausta – car c’était bien elle – lui jeta un de ces coups d’œil dont il est impossible de définir l’expression. Et comme si elle jugeait qu’elle n’avait plus de contrainte à s’imposer, elle défit ses gants qu’elle passa à sa ceinture, acheva de détacher la fausse barbe qu’elle jeta et se mit à frictionner doucement sa main meurtrie. Ce geste fut sans doute interprété comme un reproche muet par Pardaillan, car il s’excusa :
– J’ai peut-être été un peu brutal. Mais aussi, qui diable vous aurait reconnue sous ce costume, avec cette barbe et cette moustache ? Vous me direz peut-être que j’aurais dû vous reconnaître, moi. Que je vous eusse sûrement reconnue autrefois. C’est vrai. Ne m’en veuillez pas trop cependant. C’est qu’il est terriblement loin, cet autrefois. Je me fais vieux, princesse, diablement vieux ! Savez-vous que je suis sur mes soixante-cinq ans ? Soixante-cinq ans, cela pèse lourdement, sur les épaules d’un homme ! Voyez : ma vue baisse, je deviens dur d’oreille, les jambes sont molles, les bras n’ont plus de vigueur, les épaules se voûtent, et il a neigé sur le peu de cheveux qui me restent. Décidément, c’est une chose fort laide et fort affligeante que la décrépitude. Vous êtes bien heureuse, vous, d’être un de ces rares privilégiés sur qui le temps semble n’avoir pas de prise. C’est que vous ne changez pas. Ma parole, vous êtes toujours telle que vous étiez quand vous aviez vingt ans et que vous vouliez me meurtrir à toute force, parce que vous m’aimiez, disiez-vous. Ce qui, soit dit en passant, est une singulière façon de témoigner son affection.
On eût dit qu’il cherchait à l’étourdir par ce verbiage ininterrompu. Ou, peut-être, toujours chevaleresque et généreux, s’efforçait de lui faire oublier
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