La Fin de Fausta
renoncer à ses calculs, momentanément, du moins, en l’obligeant à répondre.
– Comment diable avez-vous pu commettre l’imprudence de vous aventurer sur les routes, toute seule, sans la plus petite escorte ? demanda-t-il à brûle-pourpoint.
Il est probable que Fausta ne fut pas dupe de sa manœuvre. Cependant elle ne chercha pas à se dérober. Et de sa voix morne, mais de bonne grâce, elle répondit :
– Je ne suis pas peureuse, vous le savez. Et puis, je croyais bien n’avoir rien à redouter… D’autant que j’étais armée, et que je manie assez proprement l’épée.
– D’accord, mais comment vous êtes-vous trouvée sur cette route précisément plutôt que sur toute autre ?
– Parce que j’ai eu la malencontreuse idée de m’assurer par moi-même comment mes ordres étaient exécutés.
– Oui, la chose en valait la peine. Quatre millions représentent un fort respectable denier. Mais précisément, à cause de l’importance de la somme, vous n’auriez pas dû vous risquer sans une forte escorte.
– Je vous ai dit que je croyais n’avoir rien à redouter. Mes précautions étaient bien prises, et j’avais tout lieu de croire que l’arrivée de ces millions était ignorée de tous.
– Hormis de moi, comme vous voyez.
– C’est vrai. Et cela me fait penser que, pour que vous soyez si bien renseigné, il faut qu’il y ait un traître dans mon entourage immédiat.
– Je vous donne ma parole que non. C’est vous-même qui m’avez révélé la prochaine arrivée de ces millions d’Espagne.
– Moi ! sursauta Fausta.
– Vous-même, confirma Pardaillan. Mon Dieu, je ne prétends pas que c’est à moi expressément que vous l’avez dit. Non. Mais vous oubliez que je me suis introduit une fois chez vous. Et pendant le temps que j’ai passé aux écoutes dans certain cabinet, vous m’avez ainsi, sans vous en douter, appris pas mal de choses intéressantes pour moi. Celle-ci était de ce nombre. Et vous voyez qu’elle n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
– Puisque vous le dites, je veux bien l’admettre. Ce n’est pourtant pas moi qui vous ai appris le jour exact de l’arrivée de ces millions… Je l’ignorais moi-même, alors… Ce n’est pas moi non plus qui vous ai fait connaître la voie que prendraient ces millions pour arriver clandestinement chez moi, ni la route que suivrait d’Albaran pour aller en prendre possession, ni même que ce serait d’Albaran qui serait chargé de ce soin. J’en reviens donc à ce que j’ai dit, à savoir qu’il a bien fallu que je fusse trahie… Au moins sur ces différents points.
– Je vous assure que vous vous trompez. Ces différents points, je les ai appris par moi-même. Et sans grande difficulté, ma foi.
– Puis-je vous demander comment ?
– Oh ! mon Dieu, de la façon la plus simple du monde : j’ai expédié sur la route d’Espagne un homme à moi, qui ne manque pas de flair et d’adresse, et qui parle l’espagnol comme un enfant des Castilles. Il a fini par rencontrer une troupe qui escortait un convoi. Sous leurs costumes de serviteurs de grande maison, il a facilement reconnu des soldats. Sous leur français correct – ils ne parlent jamais que français, même entre eux –, il a flairé des Espagnols. Il est entré en contact avec eux, comme on entre en contact avec des soldats, fussent-ils déguisés : en leur offrant quelques flacons de vieux vins. Et ils ont bavardé, quand le vin leur a eu délié la langue. Ils ne savaient pas grand-chose, d’ailleurs. Mais le peu qu’ils m’ont appris m’a permis de deviner le reste. Pour ce qui est de M. d’Albaran, puisqu’il est votre bras droit, j’ai pensé tout naturellement que c’est lui que vous chargeriez de prendre livraison de ce soi-disant convoi de vin d’Espagne qui allait tantôt par voie de terre, tantôt par voie d’eau. J’ai donc fait surveiller M. d’Albaran par un autre compagnon à moi. Aussi lorsque ce compagnon est venu, ce matin, me faire connaître sa promenade matinale et le chemin qu’il prenait, j’ai compris que le moment était venu d’agir. Ce que j’ai fait aussitôt. Vous voyez, princesse, que je n’ai pas eu besoin d’acheter la complicité d’un de vos serviteurs. J’aurais été bien embarrassé de le faire, d’ailleurs, attendu que, vous le savez, je ne possède pas la moindre fortune.
– Je vous crois, fit simplement Fausta qui ne doutait pas de sa
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