La Fin de Fausta
que Pardaillan en eut pitié. Et il s’excusa doucement :
– Ma foi, monsieur, je suis désolé de traiter ainsi un brave tel que vous, mais convenez que c’est un peu de votre faute.
– Il fallait me tuer, monsieur ! lança l’inconnu dans un grondement terrible.
– C’est ce que j’eusse été désespéré de faire, répliqua Pardaillan. Et, de son œil perçant, il étudiait l’inconnu plus attentivement qu’il ne l’avait fait jusque-là. C’est qu’il se disait :
« Il me semble que je connais cette voix !… Où diable l’ai-je donc entendue ?… »
Et Pardaillan qui pensait ingénument que tout était dit maintenant rengaina paisiblement, après avoir galamment salué de l’épée le vaincu.
Valvert et Landry Coquenard, qui attendaient avec curiosité la fin de la passe d’armes, pensèrent comme lui que tout était dit et que le passage était libre. Ils donnèrent aussitôt de l’éperon et partirent au trot.
Ils ne savaient pas à quel entêté particulièrement tenace et suprêmement insoucieux de la mort ils avaient affaire. Il ne s’avouait pas encore vaincu, lui. Alors qu’ils pensaient en être débarrassés, ils le virent de nouveau campé au milieu du chemin, le buste penché, solidement arc-bouté sur les jambes et, dans son poing droit crispé, il tenait un poignard acéré qu’il venait de sortir de son sein. Et toute son attitude criait qu’il se ferait écraser, fouler aux pieds des chevaux, plutôt que de céder d’une ligne.
« Ce n’est plus de l’obstination, c’est de la folie pure ! » songea Valvert qui, comme Pardaillan, admirait en connaisseur la folle bravade.
Cependant, tout en admirant, il poussa son cheval droit sur l’inconnu.
A son tour, Pardaillan regardait, les bras croisés. Il ne songeait pas à intervenir. A quoi bon ? Il savait bien que Valvert passerait, maintenant. Il s’intéressait vivement à cet intrépide et extraordinaire lutteur. Au reste, il n’était pas inquiet sur son compte : il connaissait bien Valvert, il savait qu’il se ferait un point d’honneur de ne pas toucher à celui qu’il avait ménagé, lui, Pardaillan, et qui, d’apparence frêle et délicate, avait osé se dresser seul, devant cinq hommes dont le moins fort n’eût fait qu’une bouchée de lui, et qui maintenant, son méchant petit poignard à la main, ferme comme un roc, voyait sans sourciller venir à lui l’énorme masse que représentaient le cheval et son cavalier.
Pardaillan regardait donc, sans songer à intervenir et, l’esprit en éveil maintenant, il ressassait sans trêve cette question qu’il s’était déjà posée : « Où diable ai-je entendu cette voix ? »
Odet de Valvert, au trot de son cheval, allait droit sur l’inconnu qu’il ne quittait pas des yeux. Celui-ci, de son côté, dévorait de son regard ardent la masse mouvante qui se précipitait sur lui.
« Pardieu, se dit Valvert, c’est le poitrail de mon cheval qu’il vise. Quitte à se faire écraser, il veut me démonter, m’empêcher d’utiliser ce papier que j’ai pris sur d’Albaran, profiter de ma chute pour s’en emparer et le détruire. »
Ayant cette idée, il prit le papier qu’il avait passé à sa ceinture et le mit prudemment dans la poche intérieure du pourpoint. En même temps, il cria :
– Place !… place ! ventrebleu, ou vous allez vous faire écraser !
– On ne passe pas ! rugit de nouveau l’inconnu.
Valvert arriva ainsi jusqu’à deux pas de l’inconnu. Celui-ci se ramassa sur lui-même, se tint prêt à s’effacer au bon moment et à frapper la bête au passage. Car c’était cela sa manœuvre. Manœuvre très simple en vérité, mais qui nécessitait, outre un sang-froid inaltérable, une sûreté de coup d’œil et de main peu commune.
Cette manœuvre, il ne put pas l’accomplir. Ou du moins il l’exécuta, mais la manqua. Au moment où il allait l’atteindre, Valvert, d’un coup d’éperon, fit faire à son cheval un écart. En somme, la même manœuvre qui lui avait déjà réussi avec d’Albaran, qui eût désarçonné tout autre qu’un écuyer consommé comme lui, et qui amena un sourire de satisfaction sur les lèvres de Pardaillan attentif. Le coup de poignard de l’inconnu porta dans le vide.
Il y avait mis tant de violence qu’emporté par son élan il perdit l’équilibre et faillit aller s’étaler au milieu du chemin. Il ne tomba pas, pourtant. Avec une adresse et une force
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