La Fin de Fausta
l’amertume de sa défaite, et de lui laisser le temps de se ressaisir. Elle se remettait en effet, elle retrouvait une partie de ce calme magnifique qui ne l’abandonnait pour ainsi dire jamais, et qu’elle venait de perdre si complètement.
Cependant, tout en bavardant, il ne la perdait pas de vue un instant. Il se tenait sur ses gardes plus qu’il n’aurait fait devant une troupe d’hommes bien armés. Et il avait eu soin de se placer entre elle et son cheval pour lui enlever toute possibilité de fuite. Mais elle avait fort bien remarqué sa manœuvre. L’idée ne lui vint même pas de risquer cette suprême tentative. A quoi bon ? Pardaillan la tenait. Elle savait bien qu’il ne la lâcherait que lorsqu’il lui conviendrait… si toutefois il consentait à la lâcher.
Alors elle s’inquiéta jusqu’à en être angoissée sous son calme apparent. La perte des millions était un coup terrible pour elle. Mais les conséquences de cette perte, si graves, si fâcheuses qu’elles fussent, n’étaient pas irréparables. Grâce à sa fabuleuse fortune dans laquelle elle n’hésiterait pas à puiser, elle pouvait encore parer le coup. Cela se traduirait surtout par une perte de temps. C’était grave assurément, mais non pas irrémédiable.
Tandis que la perte de sa liberté, c’était la fin de tout, l’écroulement lamentable de tous ses projets, si laborieusement échafaudés. Ce coup-là, mille fois plus rude que l’autre, l’exaspéra, amena sur ses lèvres une imprécation terrible. Et comme il la regardait d’un air naïf :
– Pourquoi, fit-elle dans un grondement farouche, pourquoi ne m’avez-vous pas tuée quand vous me teniez à la pointe de votre épée ?
– Vous me l’avez déjà demandé et je vous ai répondu… Mais ne demeurons pas plus longtemps ici, voulez-vous ?
En disant ces mots, Pardaillan saisissait les deux chevaux par la bride et passait son bras sous celui de Fausta. Elle le laissa faire, comprenant que ce geste familier était, en l’occurrence, comme une prise de possession, une manière de lui signifier qu’elle était prisonnière. Elle le laissa faire et elle se laissa docilement entraîner.
Ce n’est pas qu’elle renonçait à la lutte. Non pas, certes. Elle pliait, voilà tout. Elle gardait l’espoir indomptable que le moment viendrait où elle pourrait se redresser. Et, malgré l’angoisse épouvantable qui l’étreignait, déjà son esprit infatigable travaillait, échafaudait des combinaisons pour amener ce moment le plus tôt possible. Et, en attendant, sous une apparence de morne indifférence, elle se tenait attentive à tout, prête à saisir l’occasion propice, si le hasard lui venait en aide en la lui envoyant. C’est dans cette intention qu’elle interrogea :
– Où me conduisez-vous ainsi ?
– Nous allons passer par cette brèche que je vois là-bas et revenir sur le lieu de la bagarre, nous occuper un peu de ces pauvres diables qui sont à vous, et que j’ai vus étendus au milieu de la chaussée, en assez fâcheux état.
Fausta ne répondit que par un signe de tête qui pouvait passer pour une approbation aussi bien que pour un remerciement. Au bout de quelques pas, pendant lesquels elle garda un silence que Pardaillan respecta, elle reprit la parole.
– Je vous dois des excuses, chevalier, dit-elle gravement.
– A moi ? Et de quoi ? bon Dieu ?
– Du mot injurieux que, dans un moment de douleur et d’affolement, je vous ai lancé. Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne l’ai jamais pensé, ce mot. Vous savez, Pardaillan, que je vous tiens pour plus qu’un homme brave. A mes yeux, comme à ceux de tous ceux qui vous connaissent, vous êtes la représentation vivante de la bravoure même.
– Je vous en prie, princesse, ménagez ma modestie, protesta Pardaillan.
Avec la même gravité, Fausta insista :
– Tout le bien que je pourrai dire de vous sera encore fort au-dessous de ce que je pense.
– Peste ! Vous allez me faire éclater d’orgueil, si vous continuez, railla Pardaillan.
Et de son air figue et raisin :
– Heureusement que nous sommes, tous deux, de ceux qui peuvent se dire tout ce qui leur passe par la tête, compliment ou injure, sans que cela tire à conséquence.
Ils arrivèrent sur le lieu du combat. Pardaillan lâcha les deux chevaux qui le gênaient. Mais il ne lâcha pas Fausta.
Escargasse et Gringaille, avec une adresse et une légèreté de main qui attestaient
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