La Fin de Fausta
l’espère, mais je me garderais bien d’y croire.
– Eh ! monsieur, que voulez-vous qu’elle fasse maintenant qu’elle n’a plus de prétendant à pousser ?
– Qui vous dit qu’elle n’en trouvera pas un autre ? Qui ?… Vendôme, Guise, Condé, Concini lui-même peut-être. Est-ce que je sais, est-ce qu’on sait jamais, avec Fausta ? Elle travaillera peut-être pour son roi d’Espagne… Peut-être pour elle-même… Peut-être pour personne, pour rien, uniquement pour le plaisir de faire le mal, parce que son essence même est précisément le mal… Croyez-moi, mon jeune ami, gardons-nous comme si de rien n’était. Gardons-nous bien, gardons-nous plus que jamais !…
Là-dessus la porte s’ouvrit. Landry Coquenard, raide comme un huissier de service dans la chambre du roi, parut et annonça gravement :
– Si mes seigneurs veulent bien passer dans la salle à côté, les viandes de mes seigneurs sont servies.
– Malepeste ! railla Pardaillan avec un sifflement d’admiration, voilà un drôle qui me paraît trop bien stylé !…
Et le contrefaisant d’une manière bouffonne :
– « Les viandes de mes seigneurs ! » Ma parole, on dirait qu’il en a plein la bouche.
– C’est bien possible, fit Valvert en riant de bon cœur. Il est certain qu’il compte bien en avoir sa part.
– Des viandes ou des seigneurs ? demanda Pardaillan avec un sérieux imperturbable.
– Des viandes, des viandes seulement, monsieur le chevalier, protesta Landry Coquenard avec un sérieux égal et en se cassant en deux.
– Coquin, grogna Pardaillan, pendant que Valvert s’esclaffait de plus belle, voudrais-tu insinuer, par hasard, que nous sommes aussi coriaces que toi ?
L’œil rusé de Landry Coquenard pétillait : il voyait bien – il commençait à le connaître – que M. le chevalier était de joyeuse humeur et voulait s’amuser un peu. Mais il demeurait raide, impassible. Et se cassant de nouveau en deux, exagérant encore le respect exorbitant de ses attitudes :
– Je ferai respectueusement observer que, pendant ce temps, les viandes risquent de refroidir.
– Ah ! diable ! fit Pardaillan, cette fois très sérieusement, ce serait un crime de lèse-cuisine que je ne me pardonnerais de ma vie ! Venez, Odet, et ne laissons pas refroidir « nos viandes ».
Ils passèrent dans la salle à manger. A en juger par l’aspect des plus engageants de la table, couverte de cristaux et d’argenterie, encombrée de flacons et de victuailles, à en juger par le parfum délectable qui se dégageait de certains mets fumants, il était évident que Landry Coquenard ne s’était pas vanté en assurant à Pardaillan qu’il allait lui servir un de ces repas comme il n’en faisait pas de meilleurs à son auberge du
Grand Passe-Partout.
Pardaillan qui s’approchait en reniflant avec une satisfaction qu’il se gardait bien de montrer, vit cela du premier coup d’œil et fut fixé. Mais comme Landry Coquenard, qui triomphait déjà en son for intérieur, affectait des airs de fausse modestie, il lui dit, de son air de pince-sans-rire :
– Allons, voilà une cuisine qui me paraît avoir une odeur à peu près tolérable.
– Tolérable ! s’indigna Landry Coquenard qui s’attendait à un tout autre compliment.
– Je crois que nous ne serons pas trop empoisonnés…
– Empoisonnés ! s’étrangla Landry Coquenard.
– Et même, acheva froidement Pardaillan, il se pourrait que nous fissions en somme un repas presque supportable.
– Presque supportable ! gémit Landry Coquenard assommé par ce dernier coup.
En voyant sa mine à la fois piteuse et furieuse, Pardaillan ne put pas garder plus longtemps son sérieux. Et il éclata de son rire clair, pendant que Valvert pouffait à s’en étrangler. Et il n’en fallut pas davantage pour rendre sa bonne humeur au digne Landry.
Ayant fini de rire, Pardaillan reprit tout son sérieux, pour de bon, cette fois, pour dire :
– A table, Odet à table, et attaquons ces bonnes choses qui, en vérité, sont des plus appétissantes. Mais, tout en jouant agréablement des mâchoires, en gens affamés que nous sommes, ayons un œil ouvert toujours aux aguets, une oreille tendue toujours aux écoutes, et la rapière au côté, bien à portée de la main et toujours prête à jaillir hors du fourreau. N’oublions pas, n’oublions pas un instant que Fausta, dans l’ombre, rôde sans cesse autour de nous, guettant
Weitere Kostenlose Bücher