La Fin de Pardaillan
quelles armes il disposait pour sa défense, afin de l’abattre plus sûrement.
– J’ai, dit-elle, le témoignage de l’homme qui a noyé l’enfant. Je sais où trouver Landry Coquenard – vous voyez que je suis bien renseignée –, il parlera quand je voudrai.
– Un laquais que j’ai chassé, un homme de sac et de corde ! Beau témoignage, ma foi ! railla Concini.
– C’est vrai, reconnut Fausta, le témoin peut paraître suspect. Mais j’ai plus et mieux. J’ai oublié de vous faire part d’un petit détail, Concini. Je vais réparer mon oubli. Ce Landry Coquenard était un homme qui avait des sentiments religieux. Croiriez-vous qu’il s’avisa de faire baptiser l’enfant avant de la jeter à l’eau comme un pauvre chien ? Il le fit si bien, que voici l’acte de baptême dûment en règle… La copie, s’entend.
Elle fouilla dans son sein et en retira un papier qu’elle tendit à Concini. Celui-ci le prit machinalement. Il ne s’attendait pas à ce coup. Il fut un instant démonté. Mais se remettant aussitôt :
– Eh ! qu’importe cet acte ! Nous soutiendrons qu’il est faux !
– Il l’est, en effet, sourit Fausta, vous voyez que je suis franche, moi aussi. Cependant, l’acte véritable, authentique, existe et je pourrais le produire s’il me plaisait. Cet acte porte les signatures : 1° du prêtre qui est mort, mais dont il sera facile de vérifier la signature en consultant le registre de la paroisse ; 2° du parrain, Landry Coquenard bien vivant, et qui attestera lui ; 3° de deux témoins, morts tous les deux. L’acte porte que l’enfant est fille du seigneur Concino Concini et de mère inconnue. Cet acte authentique, je l’ai fait falsifier comme suit : 1° à la place de ces mots « mère inconnue », on a mis en toutes lettres le nom de la mère : Marie de Médicis ; 2° à la place de la signature d’un des deux témoins morts, on a mis le nom d’une femme, La Gorelle, qui, comme Landry Coquenard, est bien vivante, et, toujours comme lui, attestera, soutiendra tout ce que je voudrai lui faire dire. Je pourrai donc produire, si vous m’y forcez, deux témoins et un acte en règle. C’est quelque chose, songez-y.
Pour la deuxième fois, elle eut la satisfaction de constater que ses coups avaient porté, et rudement. Pour la deuxième fois, Concini fut démonté. Même son désarroi fut tel, qu’il jeta un coup d’œil sur la tenture, comme pour appeler une aide ou une inspiration. Et Léonora, qui comprit, se montra une deuxième fois, de la tête renouvela son « non » farouche. Et Concini répéta :
– Nous soutiendrons que l’acte est faux, que les témoins mentent.
Cristaccio !
qui donc hésitera entre la parole de la reine régente et celle de deux misérables !
Fausta eut un sourire de pitié dédaigneuse, devant la pauvreté de cette défense.
– Personne, je vous l’accorde volontiers, concéda-t-elle. Mais, mon pauvre Concini, vous ne réfléchissez pas au scandale énorme, prodigieux, que cette affaire va susciter. Vous oubliez que nous ne sommes pas en Italie ici. Nous sommes en France, à Paris. Les Français se montrent très chatouilleux pour tout ce qui regarde les questions d’honneur. Les Français ne voudront plus d’une reine à la face de laquelle on peut jeter de si monstrueuses accusations. Il y aura un tel cri de réprobation que, même fût-elle innocente, la reine sera obligée de fuir. Sa fuite entraînera votre chute… si ce n’est votre mort.
La tête pâle de Léonora reparut. Et cette fois, avec la même énergie virile, elle disait clairement :
« Elle a raison ! »
Concini l’avait bien compris aussi, quoique un peu tard. Son attitude se modifia :
–
Corbacco !
madame, vous avez raison, dit-il, et je vous remercie de m’avoir signalé le véritable danger. Car, c’est là le véritable danger. Nous agirons donc autrement.
– Qu’allez-vous faire ? demanda Fausta avec un calme gros de menaces.
– Une chose très simple, railla Concini. D’abord, je vais faire connaître vos intentions à la reine.
– Ensuite ? dit froidement Fausta.
– Ensuite et c’est tout indiqué, la reine, qui est régente, ne l’oubliez pas, vous montrera que charbonnier est maître chez lui.
– Vous voulez dire qu’elle m’enverra rejoindre à la Bastille mon protégé, le duc d’Angoulême ?
– Vous l’avez dit, madame. Et soyez tranquille, une fois que vous serez là on
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