La Fin de Pardaillan
combattue autrefois. Mais vous me rendrez cette justice que si la lutte entre nous fut violente, acharnée, elle demeura toujours loyale, de mon côté du moins ?
– Je le reconnais très volontiers.
– Il n’en demeure pas moins acquis que nous fûmes ennemis. Et vous n’aviez aucune raison de rendre service à un ennemi. Je pense donc que si vous l’avez fait, c’est que vous avez jugé qu’une alliance entre nous était nécessaire à la réalisation de vos projets que j’ignore. Me serais-je trompé, par hasard ?
– Non, fit-elle simplement. J’ai, en effet, des propositions à vous faire. Mais comme ces propositions ne sauraient être faites dans la rue…
– Je m’en doute bien, interrompit-il, en souriant. Je suis, princesse, prêt à vous suivre partout où il vous plaira de me mener.
– Vous êtes un charmant cavalier, duc, complimenta gravement Fausta, et je constate avec satisfaction que dix années de tortures morales n’ont en rien altéré vos facultés. S’il vous plaît de prendre place dans cette litière, nous nous rendrons chez moi, où nous pourrons nous entretenir en toute sécurité. Au lieu de prendre place dans le lourd véhicule qu’elle lui désignait, le duc d’Angoulême eut malgré lui un mouvement de recul. En même temps, il jetait sur les cavaliers de l’escorte qui attendaient impassibles à quelques pas de là, un regard si expressif que Fausta commanda en souriant :
– D’Albaran, une monture pour Mgr. le duc d’Angoulême. D’Albaran se retourna et fit un signe. Un de ses hommes mit aussitôt pied à terre et vint présenter son cheval au duc, à qui il tint l’étrier. Celui-ci sauta en selle avec une légèreté qu’on n’eût certes pas attendue d’un homme qui venait de subir de longues années d’une déprimante captivité. Et tout joyeux :
– Par la mordieu ! s’écria-t-il, on respire là-dessus !
Et s’adressant à Fausta :
– De grâce, madame, mettez le comble à vos bontés : partons sans plus tarder. On étouffe à l’ombre de ces sinistres murailles.
– Partons, commanda Fausta avec un sourire indéfinissable.
En même temps qu’elle donnait cet ordre à haute voix, son regard rivé sur les yeux de d’Albaran donnait un autre ordre, muet celui-là. Et le colosse qui avait compris, comme il l’avait déjà fait une fois, se retourna vers ses hommes et, d’un coup d’œil expressif, il leur désigna le duc pendant que, du geste, il commandait une manœuvre.
En exécution de ces ordres muets, l’escorte se divisa en deux pelotons. Le premier de ces pelotons précéda de quelques pas la litière. Le second la suivit. De cette manœuvre, il résulta que lorsque la cavalcade s’ébranla, d’Angoulême et d’Albaran, qui se tenaient aux portières de la litière, se trouvèrent pris entre ces deux pelotons.
Les geôliers de la Bastille avaient si bien fait traîner les choses que la nuit tombait lorsque Fausta et son escorte s’engagèrent dans la rue Saint-Antoine. Pardaillan, qui avait vu sortir Fausta et d’Angoulême, attendait leur passage au coin de cette rue Saint-Antoine. Il remarqua très bien, lui, les dispositions prises par d’Albaran sur l’ordre muet de sa maîtresse. Et avec un sourire railleur, il songea :
« Ce pauvre duc qui caracole et fait des grâces, qui paraît s’impatienter de l’allure lente que les mules de Fausta l’obligent à garder, ce pauvre duc n’a pas l’air de se douter qu’il est bel et bien prisonnier de celle qu’il semble tout joyeux et tout fier d’escorter. »
Pardaillan, avec cette sûreté de coup d’œil qui n’appartenait qu’à lui, avait bien jugé la situation telle qu’elle était en réalité : le duc d’Angoulême était bien prisonnier de d’Albaran, et il ne paraissait pas s’en douter.
Une fois de plus, Pardaillan suivit Fausta jusqu’à l’hôtel de Sorrientès. La nuit était tout à fait venue lorsqu’il vit la litière pénétrer dans la cour d’honneur et la grande porte se refermer sur le duc d’Angoulême qui, cette fois, se trouvait réellement prisonnier, à la merci de la terrible jouteuse qu’il avait peut-être eu tort de suivre avec tant d’aveugle confiance. Il va sans dire que Pardaillan était on ne peut plus décidé à entrer à son tour dans l’hôtel et à entendre ce que Fausta allait dire à celui qu’il avait tendrement aimé autrefois et pour qui il avait accompli des exploits prodigieux, qui
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