La Fin de Pardaillan
laissaient loin derrière eux les légendaires exploits des anciens preux.
L’aventure pouvait paraître insensée à tout autre que Pardaillan : Fausta devait être gardée, et bien gardée chez elle. La tenter, cette aventure, c’était peut-être venir se jeter délibérément dans la gueule du loup. Pardaillan, qui était payé pour connaître Fausta mieux que personne, s’était dit à lui-même tout ce qu’il avait à se dire à ce sujet. Et il est certain que devant l’énumération d’obstacles quasi insurmontables, tout autre que lui eût renoncé à une pareille entreprise. Mais les obstacles, loin de décourager Pardaillan, avaient le don de l’exciter davantage au contraire. Puis, il en avait vu et fait bien d’autres dans sa vie aventureuse. Le matin même, n’avait-il pas réussi à pénétrer chez Concini qui était gardé chez lui aussi bien que pouvait l’être Fausta chez elle ?
Loin de renoncer, Pardaillan s’était confirmé dans sa résolution et s’était mis incontinent à chercher le moyen de réaliser son projet. Il avait fini par se dire :
– Pardieu, j’irai à cette petite porte du cul-de-sac, je frapperai trois coups légèrement espacés et je prononcerai ce nom : La Gorelle… Je verrai bien ce qu’il en résultera.
Nous rappelons que, dans les premiers chapitres de cette histoire, nous avons montré La Gorelle s’entretenant avec Fausta cachée dans sa litière. Pour montrer qu’elle n’avait rien oublié, la mégère avait répété à haute voix les indications que Fausta venait de lui donner. Pardaillan qui passait, avec son fils Jehan, près de la litière, à ce moment là, avait entendu ces paroles. Il n’y avait, alors, prêté aucune attention. Brusquement, elles venaient de lui revenir à la mémoire et il avait décidé d’en faire son profit.
Cependant, en arrivant sur les lieux, Pardaillan réfléchit :
« Diable, c’est que voilà déjà pas mal de jours que j’ai entendu ces paroles… Il est à présumer que M me Fausta, devenue duchesse de Sorrientès et envoyée extraordinaire de Sa Majesté Très Catholique, a depuis longtemps changé son mot de passe… On ne m’ouvrira pas, c’est à peu près certain. »
Cette réflexion judicieuse fit que Pardaillan, au lieu de s’en aller tout droit frapper à la porte du cul-de-sac, comme il avait d’abord décidé de le faire, se mit à faire le tour de l’hôtel, étudiant les lieux, mesurant du regard la hauteur des murs, avec cette sûreté et cette rapidité de coup d’œil qui étaient si remarquables chez lui. Et il bougonna :
– Diantre soit de ces murs d’une hauteur démesurée !… Je vous demande un peu quel bon sens il y a de faire des murs aussi extravagants… Cela devrait être défendu… Il y a quelque vingt ans, ils ne m’eussent pas arrêtés… Mais aujourd’hui, une escalade pareille n’est plus de mon âge… Si seulement j’étais sûr de ne pas trouver, de l’autre côté, une sentinelle… on pourrait encore essayer… Je sais bien que je pourrai toujours me débarrasser de cette sentinelle… sans la tuer. Mais cela n’ira pas sans quelque bruit, tout au moins sans quelque appel malencontreux qui attirera du monde… ce qui me mettra dans l’impossibilité d’entendre ce que M me Fausta, duchesse de Sorrientès, veut dire à Charles d’Angoulême… Et moi je veux entendre cela précisément… Non, décidément, cette escalade ne me dit rien… Allons-nous-en frapper à cette petite porte. Il en arrivera ce qu’il en arrivera.
Cette fois, Pardaillan était bien décidé : il alla résolument à la petite porte, frappa les trois coups, prononça le mot de passe. Et la porte s’ouvrit aussitôt.
Pardaillan, le visage enfoui dans le manteau, entra dans une manière de corps de garde faiblement éclairé par une veilleuse. Un des hommes qui se trouvaient là se leva, et, sans prononcer une parole, sans lui demander la moindre explication, lui fit signe de le suivre. Pardaillan suivit, sans souffler mot : puisqu’on ne lui demandait rien. Son guide le conduisit dans une antichambre où il le laissa seul, en le priant d’attendre qu’on vint le chercher.
Dès qu’il se vit seul, Pardaillan ouvrit la porte opposée à celle par où était sorti l’homme qui l’avait amené là. La porte donnait sur un couloir faiblement éclairé. Il s’engagea résolument dans ce couloir et s’éloigna. Il ne savait pas du tout où il se trouvait
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