La Fin de Pardaillan
du regard ! Tudiable, vous ne voyez donc pas les yeux qu’elle me fait ?
Cette fois, Muguette se rendit compte que Perrine vivait, qu’elle n’était même pas blessée. Un soupir de soulagement souleva son sein. Alors, toute sa pensée se reporta sur la petite Loïse.
– Il y avait un enfant ici, dit-elle, j’espère que…
– La petite Loïse ? interrompit Concini avec un sourire indéfinissable. Vous allez la voir, madame.
Il avait dit cela avec tant de spontanéité qu’elle se sentit tout à fait rassurée. Rassurée pour ceux qui lui étaient chers. Pour ce qui était d’elle-même, c’était une autre affaire. Mais elle ne pensait pas encore à soi.
– Holà ! Stocco, commanda Concini en élevant la voix, amène-nous la fille de Madame… qu’elle puisse voir par ses yeux que nous ne lui avons pas fait de mal.
Il y avait un tel grondement dans sa voix que Brin de Muguet frissonnante se sentit agrippée par l’horreur et par l’épouvante. Pour la première fois, elle entrevit qu’elle allait être victime de la plus hideuse des machinations. Et elle se raidit de toutes ses forces.
Stocco ne tarda pas à répondre à l’appel de son maître. Il parut dans le cadre de la porte. Il tenait dans ses bras la petite Loïse. L’enfant, brusquement arrachée au sommeil, effrayée par la mine patibulaire de l’homme qui l’emportait, criait, pleurait, se débattait de son mieux dans les couvertures où elle avait été enroulée à la hâte. En apercevant la jeune fille, elle s’apaisa soudain, tendit ses petits bras vers elle, et eut un cri de joie :
– Maman Muguette ! Ma maman Muguette !…
– Loïse ! ma petite Loïsette ! gémit la jeune fille suffoquée par l’angoisse, en s’élançant vers elle.
Concini se jeta devant elle, lui barra le passage en grondant :
– Vous l’avez vue !… Vous avez vu qu’elle n’a aucun mal !… Cela suffit pour l’instant.
Et, de sa voix de commandement :
– File, Stocco.
Et Stocco sauta dans le jardin, emportant la fillette qui se débattait désespérément, appelant à grands cris « sa maman Muguette ». Il courut jusqu’à la litière qui, dès que Muguette était entrée, était venue stationner devant la porte à claire-voie. Il sauta avec son fardeau dans la lourde machine qui, s’ébranlant, partit aussitôt.
Et l’infortunée Muguette qui avait voulu s’élancer, s’opposer à ce rapt odieux, accompli, par un raffinement de cruauté plus odieux encore, sous ses yeux, la pauvre Muguette se heurta à Eynaus et Longval, jusque-là témoins muets et inactif de cette abominable scène, qui, sûr un signe de leur maître, lui barrèrent le passage, l’immobilisèrent aisément, tout en évitant de la brutaliser.
Et quand la litière se fut éloignée, quand les appels terrifiés de l’enfant peut-être bâillonnée par ce fauve déchaîné qu’était Stocco – ne se firent plus entendre, alors seulement, avec sa politesse affectée, Concini promit :
– Rassurez-vous, madame, vous reverrez votre fille, à qui il ne sera fait aucun mal.
Cette promesse ramena un vague espoir dans le cœur de la jeune fille, incapable de deviner l’horrible manœuvre imaginée par l’infernal Stocco et si bien mise à exécution par Concini.
Quand ? interrogea-t-elle avidement.
– Quand vous voudrez, répondit Concini avec un de ces hideux sourires, comme il en avait eu quelques-uns au cours de cette scène atroce. Vous n’aurez qu’à la venir chercher.
– Où ?
– Je vais vous le dire. L’enfant est conduite dans une petite maison à moi. Vous trouverez cette maison vers le milieu de la rue Casset [6] , à main gauche, derrière le jardin des Carmes déchaussés. Vous frapperez deux coups et vous prononcerez le mot de passe qui, durant vingt-quatre heures, c’est-à-dire jusqu’à demain matin huit heures, sera votre propre nom : Muguette.
– Et l’enfant me sera rendue ?
– Foi de gentilhomme !
Elle réfléchit une seconde. Maintenant, elle commençait à entrevoir l’ignoble marché qu’il allait proposer. Elle voulut en avoir le cœur net. Et rivant sur lui l’éclat lumineux de ses grands yeux purs :
– Vous aurez bien quelque petite condition à me poser ?
– Cela va de soi, sourit-il.
– Quelle condition ?
– Je vous le dirai chez moi, fit-il.
Elle était fixée. Elle réfléchit encore une seconde, et avec un calme étrange :
– Et si je ne viens pas ?
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