La Fin de Pardaillan
où Pardaillan l’avait congédié jusqu’au moment où il avait été assommé par-derrière. Le chevalier écouta ce récit avec toute l’attention qu’il méritait. De temps en temps, dans l’ombre, il souriait d’un air approbateur. De temps en temps aussi, il interrompait le récit d’un geste, mettait l’œil à un des jours de la porte de fer et regardait au-dehors. Ou bien il collait l’oreille contre cette porte et écoutait avec une attention aiguë.
Quand le jeune homme eut fini de parler, il demeura un moment rêveur, ému, de cette émotion comme étonnée qu’il éprouvait toujours, malgré lui, quand il se trouvait en présence d’un acte de dévouement accompli uniquement pour lui. Et, souriant, d’un sourire railleur, comme s’il se moquait de lui-même, de cette voix extraordinairement douce qu’il avait dans ses moments d’émotion :
– Ainsi, mon pauvre Valvert, dit-il, à cause de moi et pour moi, vous vous êtes fait un ennemi mortel de M me Fausta ?…
– Bah ! fit Valvert d’un air détaché, tôt ou tard j’en serais venu là.
– Comment cela ?
– Mais, monsieur, n’avez-vous pas entendu M me Fausta dire qu’elle m’avait fait l’honneur d’avoir des vues particulières à mon sujet ?
– Eh bien ?
– Eh bien, monsieur, nous savons ce qu’elle attendait de moi. Vous pensez bien que les choses se seraient gâtées, le jour où elle m’aurait fait connaître ses intentions. Ce jour est venu un peu plus tôt, et voilà tout.
– C’est juste, au fait, reconnut Pardaillan. Mais qu’est-ce donc qui vous fait rire ainsi, Valvert ?
– Je ris, monsieur, parce que je pense que depuis notre rencontre d’hier soir, je me suis démené comme trente-six diables dans un bénitier pour tâcher de vous sauver… Et finalement, monsieur, c’est vous qui me sauvez la vie… Car, sans vous, j’eusse été infailliblement noyé dans ce caveau d’où vous m’avez tiré… C’est une dette de plus que je viens de contracter envers vous. Je ne l’oublierai pas, monsieur.
Pardaillan ouvrit deux yeux pétillants de malice, sourit, mais ne jugea pas à propos de faire remarquer que c’était pour lui, Pardaillan, que le jeune homme s’était mis dans la fâcheuse situation d’où il l’avait tiré, et que, par conséquent, il ne lui devait rien.
Et Valvert reprit :
– J’ai une heureuse nouvelle à vous annoncer, monsieur : j’ai retrouvé la fille de mon cousin Jehan, la petite Loïse.
– Vous en êtes sûr ? demanda vivement Pardaillan.
– Tout à fait, monsieur. J’ai vu le petit bonnet que portait l’enfant au moment où elle fut volée : il est brodé aux armes de Saugis. Le doute n’est pas possible.
– Voilà une heureuse nouvelle, en effet. Et où avez-vous retrouvé cette enfant ?… Comment ?… Et d’abord, l’enfant se porte-t-elle bien ?… N’a-t-elle point trop souffert ? N’est-elle pas malheureuse ?…
Toutes ces questions, que Pardaillan lançait coup sur coup, indiquaient que, malgré l’indifférence qu’il se croyait obligé d’affecter, il s’intéressait à sa petite-fille beaucoup plus qu’il ne voulait bien le laisser voir.
– L’enfant se porte à merveille, rassura Valvert. Elle est heureuse, gâtée et choyée comme une petite reine par la jeune fille qui l’a recueillie, qui lui sert de mère et qui l’adore comme si elle était vraiment sa fille.
– Racontez-moi ce que vous savez, Valvert, voulez-vous ?
Valvert allait satisfaire la légitime curiosité de Pardaillan en lui racontant ce qu’il avait appris de Brin de Muguet. Mais il était écrit décidément qu’il ne pourrait pas parler sur ce sujet : la veille, en quittant la jeune fille, il était allé au
Grand Passe-Partout
pour porter la bonne nouvelle à Pardaillan. On lui avait dit que M. le chevalier n’était pas encore de retour de Saugis. Le soir, il avait rencontré le chevalier chez Fausta, dans les conditions que nous avons décrites en temps et lieu. Le moment n’était guère propice à un tel entretien. Il n’y avait même pas pensé. Maintenant, comme il ouvrait la bouche, Pardaillan lui coupa la parole en s’écriant d’une voix assourdie :
– Corbleu ! cette fois, je suis sûr de ne pas me tromper !… Et, une fois de plus, il se précipita sur la porte, regarda, écouta. Odet de Valvert fit comme lui. Cependant, ils eurent beau regarder, ils ne virent rien de suspect sur la rivière.
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