La Fin de Pardaillan
voulut pas encore s’avouer vaincu et abandonner la partie. D’une voix rude, il lança un ordre bref à ses hommes. Ceux-ci, dressés à l’obéissance passive, obéirent sans hésiter. Ils changèrent de direction et suivirent leur chef qui, remontant le courant, s’était bravement lancé à la poursuite de la barque.
Cette barque, elle n’était pas à une dizaine de brasses d’eux. Evidemment, il leur eût été très facile de la rattraper. Seulement il eût fallu pour cela que Pardaillan et Valvert consentissent à les attendre. D’autres, moins généreux qu’eux, n’eussent pas laissé passer une si belle occasion de se débarrasser de leurs ennemis.
C’était on ne peut plus facile : il n’y avait qu’à les laisser approcher et à les larder de coups d’épée ou à les assommer à coups d’aviron. Heureusement pour eux, Pardaillan et Valvert avaient trop de chevaleresque générosité pour abuser ainsi de leur force. Et quand ils virent quelle était l’intention de d’Albaran, ils se contentèrent de forcer sur les avirons. Et Pardaillan lança de sa voix railleuse :
– Je vous préviens que nous allons ainsi jusqu’au port de la Saunerie [7] . Si vous vous sentez assez bons nageurs pour remonter le courant jusque-là, ne vous gênez pas.
D’Albaran répondit par une bordée d’injures auxquelles ceux à qui il les adressait dédaignèrent de répondre. Et il n’abandonna pas sa poursuite. Cependant, si obstiné qu’il fût, il finit tout de même par s’apercevoir que chaque fois qu’il avançait d’une brasse, la barque s’éloignait de quatre. A ce jeu-là, il s’épuisait et risquait de se noyer bien inutilement. Il se résigna à abandonner la partie et il aborda, avec ses hommes, au premier escalier qu’il aperçut. Son entêtement n’avait eu d’autre résultat que de prolonger le bain forcé qu’ils avaient pris.
Quant à Pardaillan et à Valvert, ils abordèrent sans encombre aux escaliers qui se trouvaient au bas de la rue de la Sonnerie, rue qui a disparu depuis et qui allait de la vallée de Misère ou quai de la Mégisserie à la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, en contournant le Châtelet, duquel elle n’était séparée que par la rue Pierre-au-Poisson, absorbée depuis par la place du Châtelet.
Ils se trouvaient donc tout portés dans la rue Saint-Denis. Ils s’en allèrent tout droit à l’auberge du
Grand Passe-Partout,
chez Pardaillan. Ils y allaient à la demande du chevalier pour y changer leurs vêtements maculés et trempés, pour s’y refaire par un bon repas – attendu que l’heure du dîner était passée depuis longtemps – et enfin pour que Valvert pût donner tous les renseignements qu’il avait recueillis sur la petite Loïse, fille de Jehan de Pardaillan.
A l’auberge, Escargasse et Gringaille – les deux serviteurs de Jehan de Pardaillan que nous avons entrevus dans les premiers chapitres de cette histoire, attendaient le chevalier. Ils étaient arrivés de Saugis la veille au soir, comptant trouver là Pardaillan qui leur avait donné rendez-vous et qui aurait dû, lui, être rendu dans-la matinée, et qui l’eût été en effet, s’il n’avait rencontré Fausta.
Les deux braves commençaient même à s’inquiéter de ce retard du père de leur maître. Comme de juste, cette inquiétude s’était communiquée, plus accentuée, à dame Nicole, la grassouillette et appétissante patronne du
Grand Passe-Partout,
laquelle, comme on sait, avait une vénération toute particulière pour son illustre pensionnaire.
L’arrivée de Pardaillan calma les appréhensions de ces braves gens. Dame Nicole se précipita pour préparer du linge et des vêtements de rechange à M. le chevalier. Après quoi, elle se rua dans sa cuisine pour confectionner de ses propres mains le repas délicat et soigné, arrosé de ses vins préférés, que Pardaillan, afin de pouvoir s’entretenir en toute quiétude avec Valvert, avait demandé qu’on servît dans sa chambre même.
Comme les deux braves avaient dîné depuis longtemps, Pardaillan envoya Gringaille chercher son cheval dans cette auberge où il l’avait laissé pour suivre Fausta quand elle se rendait chez Concini. Quant à Escargasse, il fut chargé de courir rue de la Cossonnerie, au logis de Valvert, et de lui rapporter un costume.
Escargasse ne trouva pas Landry Coquenard. Il venait de partir pour se mettre à la recherche de son maître. Mais comme c’était un homme
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