La Fin de Pardaillan
Pardaillan qui ajouta aussitôt :
– Voici ce que nous allons faire.
Et en quelques phrases brèves, il expliqua la manœuvre qu’il avait conçue. Ces explications données et religieusement écoutées par Valvert, ils passèrent séance tenante à l’exécution.
– Bien qu’il fût maintenant complètement rassuré sur le compte de son jeune compagnon, Pardaillan, qui tenait à ménager ses forces, se chargea de briser la serrure. Un coup bien appliqué suffit pour faire ce que le barreau avait été impuissant à accomplir. La serrure ayant sauté, il posa le bloc de pierre par terre, devant la porte.
Ceci fait, ils se couchèrent par terre, côte à côte, derrière le bloc. Puis Pardaillan allongea le bras, tira brusquement la porte à lui, et s’aplatit aussitôt derrière la pierre. Ce qu’il avait prévu se produisit : d’Albaran, averti par le coup qui avait brisé la serrure, voyant la porte s’ouvrir toute grande, crut que Pardaillan allait se dresser devant l’orifice et se hâta de commander : « Feu ! » Les trois explosions se fondirent en une seule explosion formidable.
Immédiatement, Pardaillan et Valvert poussèrent le bloc de pierre dehors, au jugé. Et, aussitôt après, ils sautèrent tous les deux en même temps. Pardaillan avait espéré que l’énorme pierre atteindrait la barque et la ferait chavirer. Durant l’inappréciable instant pendant lequel ils se tinrent au bord du trou pour prendre leur élan, à travers la fumée des trois explosions, ils purent se rendre compte qu’ils n’avaient pas atteint leur but. La barque était encore là, à peine à une toise au-dessous d’eux. Ils sautèrent, non pas dans la rivière, mais dans la barque elle-même. Et comme, cette fois, ils n’opéraient pas au jugé, ils ne manquèrent pas leur coup : ils tombèrent juste au beau milieu de la barque. D’Albaran se tenait debout, son mousquet encore à la main. Dans la secousse terrible qu’éprouva la barque, il perdit l’équilibre et tomba dans l’eau, la tête la première. Ses deux hommes n’eurent pas le temps de se rendre compte de ce qui leur arrivait. Ils se sentirent happés, soulevés avec une force irrésistible, projetés par-dessus bord, et s’en allèrent rejoindre leur chef au fond de l’eau.
Cela s’était accompli avec une rapidité fantastique. L’homme qui tenait les rames demeura béant de stupeur, ses deux rames à la main, sans faire un mouvement, comme pétrifié. Pardaillan le saisit au collet, le redressa d’une poigne de fer, et désignant la rivière, commanda d’une voix rude :
– Saute, sacripant !…
Et il montrait un visage si terrible que l’homme, épouvanté, n’hésita pas, piqua une tête en hurlant :
– C’est le diable !…
Valvert, qui déjà avait pris les rames et nageait vigoureusement, partit d’un éclat de rire homérique. Et Pardaillan ne put se retenir d’en faire autant. Et ce n’est pas tant de la mine ahurie et terrifiée du pauvre diable qu’ils riaient ainsi, c’était surtout de la rapidité et de la facilité extraordinaire avec lesquelles ils avaient expédié cette affaire qui paraissait devoir être mortelle pour eux et qui se terminait à leur complet avantage, sans qu’ils eussent reçu le moindre horion, sans qu’ils eussent eu même à dégainer.
– C’est à croire, plaisanta Valvert, que M me Fausta a voulu nous épargner l’ennui d’un bain, tout habillés, dans la rivière, ce à quoi il eût bien fallu nous résigner, si elle n’avait eu l’attention de nous envoyer cette barque.
– Vous oubliez qu’elle nous l’avait déjà imposé, ce bain, et pas dans les eaux courantes de la rivière, dit Pardaillan en montrant leurs vêtements maculés de fange et si mouillés encore qu’ils collaient au corps.
Cependant, d’Albaran et ses trois hommes, après avoir coulé, étaient revenus à la surface. Ils n’avaient reçu aucune blessure, et nageaient vigoureusement, sans paraître trop gênés par leurs vêtements, en gens entraînés depuis longtemps aux exercices les plus violents. Le premier mouvement des trois estafiers avait été de nager vers l’escalier le plus proche, qui était près de la porte neuve. C’était l’affaire d’une vingtaine de brasses en descendant le courant : un jeu pour eux.
Mais leur chef ne l’entendit pas ainsi. Ce d’Albaran, s’il jouait de malheur dans ses entreprises, était incontestablement brave et obstiné. Il ne
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