La Fin de Pardaillan
mère, décidez vous-même.
Marie la connaissait bien. Elle comprit qu’elle ne voulait pas parler.
Elle savait bien qu’elle n’était pas de force à lui faire dire ce qu’elle ne voulait pas dire. Elle n’insista pas davantage. Cependant, acculée à la nécessité de prendre elle-même une décision qu’elle ne se sentait pas le courage de prendre, elle se déroba encore une fois. Et elle se lamenta :
– J’ai la tête perdue. Ne voyez-vous pas que je ne suis pas en état de décider quoi que ce soit ? Faites ce que vous voudrez, tous les deux. Ce que vous déciderez sera bien fait.
Léonora comprit qu’elle n’en tirerait rien de plus. Elle se tourna vers Concini :
– Au fait, dit-elle, vous êtes le père, c’est à vous qu’il appartient de décider. Parlez, Concino.
Concini s’était complètement ressaisi. Cette mise en demeure ne le fit pas reculer. Ce qu’il n’avait pas osé dire l’instant d’avant, il le dit maintenant.
– Mon avis est que nous devons laisser vivre cette enfant, dit-il avec force.
Du coin de l’œil, Marie épia la physionomie de Léonora pour voir si elle approuvait ou désapprouvait : Léonora souriait d’un sourire indéfinissable. Et tandis qu’elle fixait sur son époux un regard aussi indéfinissable que son sourire, elle songeait :
« J’en étais sûre !… Je gage qu’il a eu la même idée que moi. »
Et, tout haut, d’une voix caressante :
– Pour quelle raison ?
– Pour une raison excellente, affirma Concini avec la même force et révélant son arrière-pensée. Jugez-en : c’est un vrai miracle que cette enfant, condamnée par nous à sa naissance, se trouve aujourd’hui vivante et bien portante. Dans ce miracle, je vois, moi, une manifestation de la volonté divine qu’il serait souverainement imprudent de vouloir contrarier. Pour tout dire, je crois, je suis sûr qu’il nous arriverait malheur à tous, si nous nous avisions de vouloir défaire ce que Dieu a fait.
Il disait cela avec le plus grand sérieux du monde et d’un air de profonde conviction. C’est qu’il était superstitieux, ce qui n’est pas fait pour surprendre, puisqu’il vivait à une époque où tout le monde – ou à peu près – l’était plus ou moins. En sa qualité d’Italien, il l’était doublement, lui.
Il va sans dire que Marie de Médicis et Léonora Galigaï, Italiennes comme lui, étaient aussi superstitieuses que lui. Ce qui revient à dire que l’argument de Concini – qui nous ferait sourire aujourd’hui – fut accueilli par elles avec un sérieux pour le moins égal à celui de Concini. Et même, à bien considérer leur attitude à toutes deux, il était clair qu’elles l’attendaient, cet argument. En effet, Marie s’écria :
– Voyez ce que c’est, j’avais eu la même idée !… Et Léonora avoua :
– Moi aussi ! Et j’étais sûre que c’était cela que vous alliez nous dire, Concino.
– Il est clair que c’est un nouvel avertissement que le ciel nous donne, expliqua gravement Concini.
Fortement impressionnés, ils demeurèrent un instant silencieux. Dès cet instant, il fut tacitement entendu entre eux que la petite bouquetière vivrait, ou pour mieux dire, qu’ils n’attenteraient pas à sa vie. Ainsi, cette grâce qu’ils lui faisaient, la pauvre enfant la devait uniquement à leur égoïsme monstrueux que la peur superstitieuse talonnait. Ni le père, ni la mère n’avaient eu un mot, sinon d’affection, du moins de pitié à son adresse.
Encore se trouva-t-il que cette décision que la peur leur arrachait, de définitive qu’elle paraissait être d’abord, devint tout à coup provisoire, grâce à une intervention de Léonora. Elle avait longuement réfléchi à cette affaire, elle, ainsi qu’on l’a vu. Des deux solutions qui étaient seules possibles, elle avait tiré toutes les conséquences qui pouvaient logiquement en découler. Alors que tout paraissait dit, elle remit tout en suspens en disant :
– Cependant, il ne faut pas oublier que la signora Fausta a attiré cette petite chez elle, à son hôtel de Sorrientès, puisque aussi bien elle est duchesse de Sorrientès à présent. Il ne faut pas oublier que la signora compte se servir de cette enfant contre vous. Avant de prendre une décision définitive, il me paraît indispensable, premièrement, de ne pas la lâcher, puisque nous la tenons.
– Telle était bien mon intention, interrompit vivement Concini,
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