La Fin de Pardaillan
effroyablement menaçante, qui pouvait avoir pour eux des conséquences plus épouvantables que la mort elle-même, et qui avaient à prendre, d’un commun accord, des résolutions terribles desquelles dépendrait leur perte ou leur salut.
Nous avons dit que Marie était sortie radieuse de la chambre où elle était restée si peu de temps. Plus conscient de la gravité de la situation d’ailleurs encore tout étourdi de la violence des secousses qui, coup sur coup, venaient de s’abattre sur lui, Concini se montrait fort troublé, ne songeait pas à dissimuler la mortelle inquiétude qui venait de fondre sur lui. Cette agitation ne pouvait pas échapper aux yeux de la femme passionnément éprise qu’était Marie. Toute sa joie tomba du coup. Quand elle pénétra dans la pièce où Concini l’introduisait cérémonieusement, elle était aussi inquiète, aussi troublée que lui. Et elle se laissa tomber dans un fauteuil, réellement accablée.
Ils s’expliquèrent.
Marie révéla que c’était Léonora qui lui avait appris l’effrayante nouvelle. Concini s’en doutait bien un peu. Elle ajouta qu’elle était accourue aussitôt pour l’aviser et se concerter avec lui. A son tour, elle voulut savoir comment il se trouvait renseigné. On comprend bien qu’il ne pouvait pas lui dire la vérité. Il improvisa une histoire qu’il lui débita avec assurance et avec toutes les apparences de la plus grande sincérité. Comme son histoire était assez adroite, très vraisemblable, elle l’accepta sans hésiter.
Tout naturellement, ils se trouvèrent amenés à évoquer le passé. Comme ils se savaient à l’abri de toute oreille indiscrète, en parfaite sécurité dans cette maison écartée, close et discrète comme il convenait à un nid d’amour, ce fut en toute franchise et sans chercher les mots qu’ils se parlèrent. Ils retracèrent l’histoire de la naissance de leur fille dans ses moindres détails. Concini s’éleva en termes violents contre l’odieuse trahison de ce misérable Landry Coquenard qui n’avait pas exécuté l’ordre de mort qu’il lui avait donné jadis. Et Marie l’approuva, renchérit.
Ils s’émerveillèrent « du miracle » qui leur faisait retrouver vivante cette enfant qu’ils avaient condamnée à mort le jour de sa naissance, il y avait de cela dix-sept ans. Ils s’émerveillèrent, mais avec une franchise qui eût pu paraître le plus révoltant des cynismes si elle n’eût été simplement de l’inconscience ; ils déplorèrent « l’affreux malheur » qui replaçait devant eux, comme une menace effroyable, ce fruit d’une faute passée dont ils croyaient s’être débarrassés à tout jamais.
Le rappel de ces souvenirs sinistres leur prit un temps appréciable. Il arriva tout de même un moment où ils n’eurent plus rien à se dire sur ce sujet. Ils se trouvèrent de nouveau – et peut-être sur tout ce qu’ils avaient dit jusque-là, ils ne l’avaient dit que pour reculer un peu cet instant redoutable – ils se trouvèrent donc placés devant l’effrayante nécessité de prendre une résolution.
La question était terrible dans sa simplicité. Elle se résumait à ceci : fallait-il laisser vivre l’enfant qu’un miracle avait sauvée, ou la rejeter au néant, sans la manquer, cette fois ?
Et ils se dérobèrent tous les deux. Grâce ou condamnation, aucun d’eux n’eut le courage de prononcer l’arrêt. Chacun d’eux attendit que l’autre parlât le premier, prît ainsi la responsabilité de la décision suprême, quelle qu’elle fût. Peut-être chacun d’eux avait-il son idée de derrière la tête qu’il gardait pour lui.
Une gêne oppressante s’abattit entre eux. Pour la dissimuler, Concini se mit à marcher avec agitation. Marie se rencogna dans son fauteuil. Et ils ne trouvèrent plus rien à se dire. Cela dura quelques minutes qui leur parurent longues comme des heures. De temps en temps, pour rompre ce silence pesant, l’un ou l’autre murmurait machinalement : « Que fait donc Léonora ? »
L’arrivée de Léonora leur apporta un véritable soulagement à tous les deux. Marie de Médicis se redressa dans son fauteuil où elle était affaissée. Concini s’arrêta de tourner comme un fauve en cage. Tous deux sentaient les forces et le courage leur venir parce qu’ils comprenaient, ils savaient par expérience qu’ils avaient devant eux une volonté virile et forte qui saurait leur communiquer un peu de son
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