La Fin de Pardaillan
monsieur, que cela me fut bien pénible. Mais le salut de l’enfant passait avant tout, n’est-ce pas ?
– Oui, fit Valvert, qui suivait cette histoire avec un intérêt passionné, mieux valait se séparer de l’enfant que de la garder à portée de son assassin de père. Hors de la Toscane, hors de l’Italie, elle était sauvée. C’était l’essentiel. Tu as bien fait, Landry.
– Je suis heureux de votre approbation, monsieur, déclara gravement Landry Coquenard. Mais, monsieur, si je dis, sans rien cacher, ce qui est à ma honte, je puis bien, en bonne justice, dire aussi ce qui est de nature à pallier quelque peu la gravité de mes fautes ?
– Dis, Landry, dis, autorisa Valvert.
– Voici, monsieur : Cette femme, cette Française, se nommait La Gorelle. Je la savais assez intéressée, voire quelque peu avaricieuse. Pour me punir moi-même de l’abominable action que j’avais été sur le point de commettre, je lui donnai jusqu’à la dernière maille la somme que Concini m’avait remise pour prix de mon crime. Mille ducats, monsieur, c’était une somme importante pour moi. Pourtant, vous me croirez si vous voulez, cette somme eût-elle été dix fois, mille fois plus considérable, je n’aurais pu la garder. Il me semblait que cet or me brûlait les doigts. Cette somme, qui devait être le prix du sang de l’enfant, servit à la sauver. Grâce à elle, La Gorelle put quitter l’Italie, emmenant l’enfant. Voilà, monsieur. Après ce coup-là, j’eus une peur affreuse de voir mon maître découvrir ma trahison. Si je n’avais eu qu’un coup de poignard à redouter, je serais peut-être resté, car la place était bonne et je gagnais bien ma vie. Mais il y avait les cachots du Bargello où Concini pouvait me faire jeter. La peur de la mort lente dans les affreuses fosses de ce noir édifice, qu’on appelle
Il palazzo del podesta
ou le Bargello, fut plus forte que tout. A la première occasion qui se présenta, je quittai Concini. Et c’est de là que commença cette guigne persistante dont je vous ai parlé. Peut-être était-ce la juste punition du crime que j’avais failli commettre.
– Et l’enfant, la petite Florence, sais-tu ce qu’elle est devenue ? demanda avidement Valvert.
– Non, monsieur, répondit Landry Coquenard avec assurance. Je sais qu’elle vit, qu’elle est heureuse. Je n’en sais pas plus. Mais cela me suffit.
– Tu ne sais pas où elle est ?
– La dernière fois que j’ai vu La Gorelle, c’était à Marseille. Je suppose que l’enfant y est encore.
– Elle est peut-être ici, à Paris.
– Je suis sûr que non, monsieur.
– Qui te le fait supposer ?
– Si la petite Florenza, qui doit être maintenant un beau brin de fille était à Paris, La Gorelle y serait aussi. Or, je roule tous les jours la ville, la cité et l’université ; j’aurais, un jour ou l’autre, rencontré La Gorelle, que diable !
Notons ici que Landry Coquenard mentait. Il ignorait peut-être la présence à Paris de La Gorelle qui s’y trouvait depuis peu, à ce qu’elle avait dit elle-même ; mais il n’ignorait pas que celle que les Parisiens, appelaient Muguette ou Brin de Muguet n’était autre que la fille de Concini qu’il avait baptisée, lui, du nom de Florence. Il devait avoir d’excellentes raisons pour mentir ainsi qu’il le faisait.
Quoi qu’il en soit, la raison qu’il venait de donner satisfit Valvert.
– C’est juste, dit-il.
Et, toujours curieux :
– Concini la croit toujours morte ?
– Oui, monsieur. Et vous comprenez que je me suis bien gardé de le tirer de son erreur.
– Tu as bien fait, ventrebleu ! Et, dis-moi, la mère ?…
– C’était une très grande et très illustre dame, répondit évasivement Landry Coquenard. Elle n’était pas italienne. Elle aussi, elle a quitté Florence et l’Italie peu de temps après moi. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, et j’avoue que je ne me suis guère soucié d’elle.
Valvert comprit qu’il en savait peut-être plus long qu’il ne voulait bien le dire, mais qu’il jugeait nécessaire de se taire. Intérieurement, il approuva cette discrétion, qui était toute à l’honneur de Landry Coquenard. Ce fut Valvert qui rompit le premier ce silence. Et redressant la tête, avec un bon sourire :
– La confession que tu viens de me faire n’est point de nature à me faire repousser ta demande d’entrer à mon service. Et si tu es toujours
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